Malgré un environnement international instable, le Maroc affiche une croissance plus soutenue que la moyenne régionale. Pour Abdelghani Youmni, économiste, professeur associé à Sciences Po et spécialiste des politiques publiques, cette performance repose sur la diversification industrielle, la transition énergétique et la volonté royale d’ancrer le Royaume dans une trajectoire de développement durable et inclusif.
Propos recueillis par R. Mouhsine
Finances News Hebdo: Le Maroc semble en bonne posture dans la région MENA. Comment expliquez-vous cette résilience économique ?
Abdelghani Youmni : Le FMI prévoyait une croissance de 3,9% pour 2025, freinée par l’anticipation d’une saison agricole moyenne. La pluviométrie abondante d’avril et mai a finalement relancé la production céréalière de 35%, portant la croissance à 4,4%, soit la plus forte de la région MENA où la moyenne ne dépasse pas 2,9%. Cette performance s’explique par la solidité des secteurs automobile et aéronautique, dont les exportations ont progressé respectivement à 160 milliards de dirhams et de 21%, ainsi que par l’investissement public annuel avoisinant 320 milliards de dirhams. Ces efforts accompagnent la modernisation logistique et les grands chantiers liés à la Coupe du monde 2030. Le Maroc consolide un modèle de croissance endogène et exogène, appuyé sur la diversification industrielle et l’intégration aux chaînes de valeur mondiales.
Les investissements directs étrangers ont atteint 5,8 milliards de dollars entre 2024 et 2025, en hausse de 43,5%. Cette dynamique témoigne d’une économie capable de transformer les incertitudes mondiales en opportunités, à condition que le coût de l’énergie reste stable sous les 80 dollars le baril et le taux de change entre Dirham, Euro et Dollar optimal. Entre 2025 et 2030, les perspectives demeurent favorables grâce aux nouveaux systèmes d’irrigation, à l’essor des filières automobile, aéronautique et électronique et au virage industriel voulu par Sa Majesté le Roi Mohammed VI. L’ambition de doter le Royaume d’une industrie navale et logistique maritime nationale positionne le Maroc comme un futur pilier du commerce africain et euro-méditerranéen.
F. N. H. : La dépendance énergétique reste l’une des fragilités majeures du pays. Peut-on réellement la réduire à moyen terme ?
A.Y. : Le Maroc reste fortement dépendant de ses importations énergétiques, qui couvrent près de 94% de ses besoins. En 2022, la facture énergétique a atteint 120 milliards de dirhams, un niveau record lié à la flambée des cours mondiaux après la guerre en Ukraine. En 2023, elle s’est stabilisée autour de 122 milliards avant de reculer à près de 114 milliards de DH en 2024. Cette volatilité rend l’économie vulnérable aux chocs externes. À cela s’ajoutent les sécheresses successives qui font chuter la production agricole de 15 à 20% certaines années, aggravant le déficit commercial et fiscal.
Pourtant, la transition énergétique en cours ouvre une voie d’émancipation. Les énergies renouvelables représentent aujourd’hui 37% du mix électrique et devraient dépasser 52% d’ici 2030 grâce aux projets Noor, Tarfaya et aux futurs complexes d’hydrogène vert à Dakhla et Guelmim. Chaque point de substitution d’énergie fossile par du renouvelable économiserait environ 2 milliards de dirhams par an et renforcerait les réserves de change. Le coût de l’électricité industrielle, évalué à 0,117 dollar par kWh, demeure inférieur à celui de l’Égypte à 0,145 dollar, et de la Turquie à 0,162 dollar, consolidant l’avantage compétitif du Maroc.
F. N. H. : La croissance agricole reste dépendante du climat. Le modèle doit-il être repensé ?
A.Y. : L’agriculture marocaine se trouve aujourd’hui à un tournant stratégique, nécessitant un arbitrage entre rendement économique, équité sociale et soutenabilité hydrique. Le Maroc reste structurellement dépendant d’une agriculture céréalière extensive couvrant 70% des terres arables, mais à faible rentabilité. Le Fonds monétaire international souligne que la croissance marocaine reste étroitement liée au cycle agricole, et selon nos projections économétriques de 2004 à 2024, un écart moyen de contribution de 1,5 point de croissance lors d’une bonne saison et seulement 0,5 point lors d’une année de faible pluviométrie.
Cette dépendance traduit la vulnérabilité du modèle de croissance, encore trop tributaire des précipitations et du secteur primaire. Le Plan Maroc Vert a permis de doubler les exportations agricoles, passées de 22 à 46 milliards de dirhams entre 2010 et 2024, mais il a également accentué la dualité entre grandes exploitations tournées vers l’export et petites fermes fragiles. La volonté de Sa Majesté le Roi Mohammed VI est de corriger ces déséquilibres en favorisant l’émergence d’une classe moyenne agricole, socle d’une prospérité rurale inclusive. Cette ambition s’appuie sur la priorisation des cultures à haute valeur ajoutée, comme les fruits rouges, et sur le déploiement d’infrastructures hydriques structurantes. Les stations de dessalement d’eau de mer d’Agadir, Dakhla et Casablanca, ainsi que les autoroutes de l’eau reliant le Nord au Centre, généreront des externalités positives majeures comme la sécurisation de la production, l’extension des zones irriguées et la stabilité des revenus ruraux.