Le secteur aéronautique marocain connaît une croissance soutenue et poursuit sa transformation technologique et environnementale. Adil Jalali, président du Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales (Gimas), revient sur les performances à l’export, les stratégies de montée en gamme et les perspectives de développement international de la fi lière.
Finances News Hebdo : L’industrie aéronautique marocaine affiche depuis plusieurs années une croissance remarquablement soutenue de ses exportations. Quels sont, selon vous, les principaux facteurs qui expliquent cette dynamique et cette résilience, notamment après la crise du Covid-19 ?
Adil Jalali : L’industrie aéronautique marocaine connaît une expansion remarquable depuis un quart de siècle, avec une croissance moyenne annuelle de 15% de ses exportations, soit trois fois le taux de croissance mondial du secteur. Cette performance exceptionnelle s’est maintenue malgré les turbulences économiques globales, démontrant la robustesse structurelle de cette filière stratégique. La crise du Covid-19, qui avait initialement provoqué un ralentissement marqué en 2020-2021, a été surmontée avec succès, permettant au secteur de retrouver dès 2025 son niveau d’activité pré-pandémie, conformément aux projections des principaux avionneurs mondiaux. Cette résilience s’explique par plusieurs facteurs clés : une intégration profonde dans les chaînes de valeur mondiales, une main-d’œuvre hautement qualifiée et compétitive, ainsi qu’un environnement industriel stable et attractif. Le carnet de commandes mondial, qui dépasse aujourd’hui 40.000 appareils à livrer, offre des perspectives extrêmement favorables pour les années à venir. Toutefois, comme le souligne régulièrement l’IATA dans ses rapports, les goulots d’étranglement persistants dans les chaînes d’approvisionnement pourraient limiter cette croissance si les capacités de production ne parviennent pas à suivre la demande croissante.
F. N. H. : Vous évoquez souvent la transformation qualitative de l’industrie aéronautique nationale. Quelles sont aujourd’hui les grandes priorités stratégiques de montée en gamme et comment ces évolutions redéfinissent-elles la place du Maroc dans l’écosystème mondial ?
A. J. : La transformation qualitative de notre industrie s’accélère selon une feuille de route ambitieuse élaborée en concertation avec l’ensemble des parties prenantes. Cette stratégie de montée en gamme repose sur trois piliers complémentaires qui redéfinissent progressivement le positionnement du Maroc dans l’écosystème aéronautique mondial. Premièrement, le développement des métiers à haute valeur technologique comme les pièces moteurs, matériaux composites nouvelle génération et les systèmes avioniques complexes permet au Maroc de participer aux segments les plus innovants de la chaîne de valeur. Deuxièmement, notre écosystème MRO – (Maintenance, Réparation et Overhaul) – profite d’une position géostratégique exceptionnelle entre l’Europe et l’Afrique. Cette proximité naturelle, combinée aux investissements massifs dans des infrastructures de maintenance ultra-modernes, fait du Maroc le hub de référence pour les compagnies aériennes internationales. Nos plateformes certifiées aux standards mondiaux offrent qualité de service international et coûts optimisés, ce qui nous permet d’attirer les leaders du secteur et créer ainsi des milliers d’emplois hautement qualifiés. C’est la démonstration concrète de notre capacité à transformer un avantage géographique en leadership industriel. Troisièmement, l’entrée progressive mais stratégique dans le domaine exigeant de la défense ouvre des perspectives de transferts technologiques majeurs et consolide la crédibilité industrielle de notre pays.
F. N. H. : Le positionnement international du Maroc semble évoluer vers un statut de partenaire industriel stratégique. Quelles sont, selon vous, les principales perspectives de développement et les leviers qui renforcent cette attractivité auprès des investisseurs mondiaux ?
A. J. : Le positionnement international du Maroc dans l’industrie aéronautique évolue significativement, passant progressivement du statut de plateforme de production à celui de partenaire industriel stratégique. Cette transformation se manifeste concrètement par plusieurs évolutions majeures. D’une part, le pays est désormais reconnu comme fournisseur exclusif (mono-source) pour certains équipements critiques, ce qui témoigne de la qualité et de la fiabilité de sa base industrielle. D’autre part, l’attractivité croissante du Maroc se traduit par l’arrivée régulière de nouveaux investisseurs de premier plan, notamment en provenance, à titre d’exemple, d’Allemagne, mais aussi d’autres pays européens et nord-américains. Cette dynamique positive s’appuie sur des atouts compétitifs de plus en plus reconnus : un environnement industriel stable, des coûts de production maîtrisés, une main-d’œuvre qualifiée et polyglotte, ainsi qu’un positionnement géographique optimal pour servir à la fois les marchés européens, africains et moyen-orientaux. Les accords de libre-échange dont bénéficie le Maroc avec ses principaux partenaires commerciaux constituent un avantage supplémentaire pour les investisseurs internationaux.
F. N. H. : La filière aéronautique marocaine s’engage dans une double transition, numérique et environnementale. Quelles initiatives concrètes le secteur met-il en œuvre pour accélérer cette modernisation et préparer les compétences aux enjeux technologiques et durables ?
A. J. : La modernisation du secteur aéronautique marocain s’accélère à travers deux révolutions technologiques majeures : la transformation numérique et la transition écologique. La digitalisation touche l’ensemble de la chaîne de valeur, depuis la conception assistée par ordinateur et la fabrication additive jusqu’à la maintenance prédictive utilisant l’intelligence artificielle. Ces technologies transforment profondément les modes de production et renforcent la compétitivité des entreprises locales. Parallèlement, l’engagement du secteur dans la durabilité environnementale se concrétise par plusieurs initiatives majeures. Le développement des carburants d’aviation durables (SAF) et l’optimisation des procédés de fabrication pour réduire l’empreinte carbone figurent parmi les priorités. Ces transformations technologiques et environnementales s’accompagnent d’un effort sans précédent en matière de formation, orchestré par un écosystème éducatif d’excellence : les universités publiques et privées forment des ingénieurs de haut niveau aux défis de l’aéronautique moderne, tandis que des institutions spécialisées comme l’Institut des métiers de l’aéronautique (IMA) et l’Institut spécialisé des métiers de l’aéronautique et la logistique aéroportuaire (ISMALA) préparent chaque année des centaines de techniciens qualifiés aux technologies les plus récentes. Cette synergie entre formation universitaire d’excellence et formation technique spécialisée garantit l’adéquation parfaite entre les compétences disponibles et les besoins évolutifs du secteur, positionnant le Maroc comme un acteur incontournable de l’industrie aéronautique mondiale, capable de conjuguer excellence opérationnelle, innovation technologique et responsabilité environnementale.