Entré en vigueur le 1er septembre 2023, le décret n° 2-22-431 relatif aux marchés publics devait offrir une ouverture sans précédent aux PME. Deux ans après son application, l’objectif affiché de réserver au moins 30% de la commande publique aux PME semble atteint selon les autorités, mais les réalités de terrain révèlent encore des obstacles à surmonter.
Par Désy M.
Faisant le point au Parlement sur la réforme des marchés publics deux ans après l’entrée en vigueur du décret n° 2-22-431 de septembre 2023, Fouzi Lekjaa, ministre délégué chargé du Budget, a rappelé que cette législation s’inscrit dans une dynamique d’adaptation permanente, en phase avec l’évolution du contexte économique et institutionnel. Plusieurs mesures obligatoires ont été prises dans cette refonte, notamment en matière d’inclusion des TPME, imposant désormais aux donneurs d’ordre publics de réserver un minimum de 30% de leurs marchés aux PME, TPME, coopératives et auto-entrepreneurs. Ceci dans l’optique d’inscrire la commande publique marocaine dans une dynamique de transparence, de concurrence loyale et de soutien au tissu économique local.
Pour Khalid Kabbadj, expert en ingénierie patrimoniale et financière, cette réforme devrait permettre de répondre à une double urgence. «D’une part, économique, car elle vise à dynamiser le tissu entrepreneurial qui représente plus de 97% des entreprises au Maroc; et d’autre part, sociale, car elle corrige une asymétrie structurelle où seuls les acteurs disposant d’une ingénierie administrative avancée et des relations consolidées avaient accès aux grands contrats publics».
Sur le terrain, les retombées de l’application de cette mesure sont plutôt contrastées. Selon les déclarations officielles, la part des PME ayant obtenu des marchés publics en 2023 aurait dépassé le seuil de 30% et se situerait autour de 35%, marquant un progrès notable pour ces entreprises souvent fragiles face aux appels d’offres publics. De plus, les premiers indicateurs diffusés par la Trésorerie générale du Royaume montrent qu’entre janvier et août 2024, plus de 27.000 consultations ont été lancées, représentant un volume de 131 milliards de dirhams, soit une progression notable par rapport à l’année précédente. Le nombre de soumissions électroniques et d’entreprises inscrites a également doublé. Cela atteste d’un regain d’intérêt des PME, potentiellement encouragées par ce nouveau cadre légal.
Encore des obstacles
Cependant, cette volonté politique se heurte encore à des freins opérationnels et culturels. Pour Kabbadj, cette réforme représente un pas dans la bonne direction, mais ne garantit pas à elle seule un changement de paradigme : «Ce décret marque une volonté politique claire de valoriser les PME dans la commande publique. Mais sans contrôle rigoureux et accompagnement structuré, il risque de demeurer symbolique». Et d’ajouter que le cœur du problème réside dans la capacité à appliquer effectivement le quota de 30%. «Certes, la loi prévoit que les administrations doivent publier un plan annuel de passation des marchés, et en fin d’exercice, un rapport sur les montants effectivement alloués aux PME. Cependant, l’absence de contrôle et de sanctions en cas de non-respect ou de contournement des quotas limite la portée pratique du texte», relève l’expert.
Sur le plan procédural, malgré les dossiers types simplifiés et guides pratiques diffusés par les services centraux, les PME continuent d’évoquer la complexité administrative. Constituer des références, répondre à des exigences documentaires nombreuses et maîtriser les outils électroniques exigent souvent un accompagnement externe, par experts-comptables ou cabinets spécialisés, difficilement accessibles aux plus modestes. Par ailleurs, les délais de paiement restent une préoccupation majeure. En effet, les prestataires et sous-traitants, en particulier au niveau des collectivités territoriales, rapportent des retards susceptibles de fragiliser leur trésorerie et d’amortir l’effet positif de l’accès aux marchés publics. La concurrence accrue avec les grandes entreprises demeure également un obstacle, malgré les garanties publiques destinées à alléger les exigences financières.
Pour répondre aux frictions identifiées, plusieurs pistes sont avancées par les experts et les organismes de soutien : renforcer l’accompagnement des PME à chaque étape de la préparation de l’offre (guichets uniques, plateformes d’aide en ligne, ateliers pratiques), alléger encore certaines formalités par une déclaration unique ou un formulaire national harmonisé sans entamer la transparence, et institutionnaliser un suivi rigoureux des délais de paiement avec des pénalités automatiques en cas de retard injustifié, notamment pour les appels d’offres des collectivités territoriales.
A ce sujet, la création de l’Observatoire marocain de la commande publique annoncée devra jouer un rôle central en publiant régulièrement des rapports comprenant des indicateurs tels que le taux de participation des TPME, les délais moyens de paiement et le nombre de dérogations accordées, afin de proposer des ajustements concrets.
Rappelons que lors de l’évènement les Nuits de la Finance tenu en novembre 2024 sur le sujet, Noureddine Bensouda, Trésorier général du Royaume, avait relevé les résistances rencontrées face à cette réforme, notamment en matière de changement d’habitudes qui pourrait représenter une contrainte. Il avait précisé que le cadre réglementaire lui-même pose des défis. Alors que la réforme s’appuie sur un décret, un outil plus souple qu’une loi, cette flexibilité peut aussi engendrer des demandes de dérogation multiples, risquant de diluer les principes universels établis.
«Si chaque secteur réclame des exceptions, nous risquons de perdre l’essence même de la réforme», avait averti Bensouda. Appelant à la patience et à une intégration des points de vue pour consolider les acquis de cette réforme ambitieuse, le patron de la TGR avait conclu que «tout le monde est d’accord sur les principes, mais leur mise en œuvre demande du temps et beaucoup d’écoute».