Finances News Hebdo: Votre ouvrage «AIgent 007» défend l’idée d’une intelligence artificielle souveraine et contextualisée pour le Maroc. En quoi cette approche se démarque-t-elle des solutions d’IA proposées par les grandes puissances comme les États-Unis, la Chine ou l’Europe ?

Adil Lamnini : Nous sommes à l’aube d’un basculement historique. L’humanité entre dans la quatrième révolution industrielle, marquée par l’intelligence artificielle générative et autonome. Cette révolution est technologique, mais surtout géopolitique. Les grandes puissances comme les ÉtatsUnis, la Chine et l’Europe se livrent une course à la souveraineté numérique. Ces grandes puissances conçoivent leurs IA dans des logiques industrielles et géopolitiques propres, à savoir des infrastructures robustes, accès massif à la donnée, environnements homogènes. Ces solutions sont puissantes, mais difficilement transposables telles quelles dans nos réalités locales. Dans ce contexte, le Maroc ne peut pas se contenter d’un rôle de simple consommateur. Notre approche est différente. Avec AIgent 007, nous proposons une IA contextualisée, sobre et immédiatement opérationnelle. Elle s’appuie sur une logique d’agents spécialisés, ciblant des fonctions critiques de l’entreprise, relation client, gestion budgétaire, processus internes, en tenant compte des contraintes spécifiques du tissu économique marocain. Ce modèle privilégie l’autonomie, la rapidité de déploiement, et la souveraineté sur les données. C’est une réponse concrète aux besoins d’un marché qui cherche avant tout de l’efficacité, pas de la surtechnologie.

F. N. H. : Dans l’ouvrage, vous évoquez la démarche MaghribIA, qui prône une IA «Made in Morocco», adaptée aux réalités locales. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette initiative et sur la manière dont elle s’inscrit dans votre vision pour une souveraineté technologique marocaine ?

A. L. : MaghribIA est née de la volonté d’éviter que le Maroc se limite à consommer des solutions d’IA importées; il doit structurer sa propre réponse technologique, alignée sur ses priorités économiques, sociales et culturelles. Cette démarche repose sur trois piliers, à savoir l’éthique, l’adaptabilité, et la souveraineté. Il s’agit de concevoir des IA qui respectent les données, comprennent les contextes locaux, et peuvent être maîtrisées par les acteurs marocains, qu’ils soient publics ou privés. Elle s’inscrit dans une dynamique plus large, en cohérence avec les ambitions du Digital Maroc 2030. À travers des cas d’usage concrets, nous démontrons que cette approche est non seulement possible, mais déjà en cours d’exécution sur le terrain. Le livre documente cette vision avec précision, et vise à outiller les décideurs comme les opérateurs avec des modèles directement activables.

F. N. H. : Quels sont les principaux défis qui freinent aujourd’hui l’intégration à grande échelle de l’IA dans le tissu économique marocain, et comment les entreprises peuvent-elles les surmonter grâce à la méthodologie que vous proposez dans ce livre ?

A. L. : Les freins principaux sont liés à la perception et à la mise en œuvre. D’abord, une certaine opacité autour de ce qu’est réellement l’IA, ensuite, la crainte d’un changement trop radical et, enfin, l’idée reçue selon laquelle l’IA serait réservée aux grandes structures avec d’importants moyens. La méthode que nous proposons repose sur un principe simple. C’est-à-dire commencer petit, mais commencer rapidement. Nous aidons les entreprises à identifier des points précis de leur chaîne de valeur.

C’est justement pour répondre à ces enjeux que nous avons conçu une méthode simple, modulaire et immédiatement activable avec 7 profils stratégiques : les AIgents.

• Le chasseur de Leads : identifie, qualifie et répond aux prospects 24h/24, en moins de 10 secondes.

•Le closer : relance automatiquement les leads, personnalise les messages et optimise les conversions.

• La voix : répond aux appels entrants comme un centre de contact IA, sans interruption.

• Le CMO : conçoit, teste et ajuste en continu des campagnes marketing multicanales.

• Le CFO copilot  : analyse les flux financiers, optimise l’allocation des ressources et détecte les gaspillages.

• Le chef des processus : cartographie, automatise et surveille les processus internes critiques.

• Le chasseur de coûts  : repère les anomalies d’achats, les doublons et les pertes invisibles.

Ces agents ne remplacent pas les équipes. Ils les libèrent de la charge répétitive et augmentent leur capacité d’analyse et d’action. A titre d’exemple, nous avons accompagné une clinique qui a réduit de 74% ses appels manqués grâce à un agent conversationnel, ou encore un acteur du retail qui a récupéré des centaines de milliers de dirhams en corrigeant des anomalies d’achats détectées par l’agent dédié.

F. N. H. : Parmi les sept profils d’AIgent que vous décrivez, lequel vous semble le plus prioritaire à déployer dans le contexte actuel des entreprises marocaines, notamment pour les PME ?

A. L. : Aujourd’hui, dans un contexte où les marges se tendent, l’Agent 007 «Chasseur de coûts» s’impose comme une priorité. Il permet de détecter les doublons, les erreurs de facturation, ou les incohérences dans les achats. En quelques semaines, certaines entreprises ont dégagé des économies significatives, sans modifier leur organisation. Cela dit, la réponse varie selon le secteur. Une entreprise orientée B2C, par exemple, aura tout intérêt à commencer avec l’Agent 001 «Chasseur de leads», qui automatise la réponse aux prospects 24h/24, augmente le taux de conversion, et soulage les équipes. Ce que nous apportons dans cet ouvrage, c’est une grille de lecture efficace pour prioriser, selon la maturité de l’entreprise, les ressources disponibles, et les résultats attendus. Le tout est présenté de manière accessible, afin que la technologie ne soit plus un frein, mais un levier de transformation. Cette approche progressive
permet à toute PME marocaine, même modeste, de s’engager dans la transition IA sans dépendre d’une armée de consultants ou de budgets hors de portée.

F. N. H. : Avec plus de 35% des entreprises dans le monde qui ont intégré l’IA dans leurs opérations, pensezvous que les entreprises marocaines doivent se surpasser pour ne pas être distancées par cette révolution technologique ?

A. L. : Nous vivons une révolution industrielle majeure, peut-être la plus déterminante de notre époque  : il s’agit de l’IA. Le monde a basculé vers une nouvelle ère de productivité, où l’intelligence humaine est augmentée, mais en aucun cas remplacée. En 2024, le marché mondial de l’IA a dépassé les 200 milliards de dollars, et il devrait atteindre 826 milliards de dollars d’ici 2030. C’est vous dire que la dynamique s’accélère. Les grandes puissances se livrent une course à la souveraineté technologique, et des pays comme l’Arabie Saoudite ou les Émirats investissent des milliards pour construire leurs propres écosystèmes IA. Face à cela, le Maroc ne peut pas se contenter d’observer. Il a tous les atouts pour jouer un rôle actif et stratégique dans cette transformation. Nous avons une jeunesse connectée et créative. Un tissu économique résilient et des hubs technologiques comme Casa Finance City, Technopark ou MoroccoTech, qui montent en puissance. Et surtout, une vision institutionnelle qui se structure à travers Digital Maroc 2030 et la future Stratégie nationale d’intelligence artificielle. Mais pour réussir ce virage, il ne suffit pas d’adopter des outils venus d’ailleurs. Il faut penser marocain et construire une IA adaptée à nos priorités. C’est la vocation de notre livre AIgent007, coécrit avec Mehdi Mourabit. Nous y proposons une approche structurée, basée sur le déploiement des agents d’intelligence artificielle dédiés à des fonctions stratégiques comme la prospection, la finance, le service client ou encore le contrôle des coûts. Effectivement, les entreprises marocaines doivent se surpasser, mais surtout, elles doivent se faire confiance. L’avenir ne se subit pas, il se construit. Et l’IA, bien maîtrisée, peut être un formidable catalyseur pour un Maroc plus performant à l’échelle régionale et mondiale.