Tiré par des performances solides et un soutien public inédit, le capital-investissement connaît au Maroc une phase d’expansion sans précédent. En 2024, le secteur franchit un cap, tant en volume investi qu’en impact économique. L’entrée en action du Fonds Mohammed VI pour l’investissement (FM6I), avec des engagements massifs et ciblés, change la donne.
Par Y. Seddik
Au Maroc, le capital-investissement est en pleine accélération. Longtemps embryonnaire, le secteur connaît depuis quelques années une croissance structurée et désormais soutenue par des mécanismes puissants de leviers publics, notamment le Fonds Mohammed VI pour l’investissement (FM6I). À fin 2024, plus de 15,7 milliards de dirhams ont été injectés dans quelque 320 entreprises, un chiffre qui rompt clairement avec les volumes modestes des années passées.
Les résultats sur le terrain confortent cette dynamique. Les entreprises accompagnées enregistrent une croissance moyenne annuelle de 18,9% de leur chiffre d’affaires, et de 15% pour leurs effectifs. La rentabilité suit le mouvement, avec un Ebitda multiplié par 2,5 entre l’entrée et la sortie du fonds. En 2024, ces sociétés ont crû à un rythme de 20,5%, contre +3,8% pour l’économie nationale.
Un écart significatif qui illustre l’effet d’entraînement du capital-investissement sur le tissu productif. En parallèle, leur contribution fiscale cumulée a dépassé les 3 Mds de DH. Pour Hassan Laaziri, président de l’Association marocaine des investisseurs en capital (AMIC), l’année 2024 marque un tournant: «Nous sommes sur une année record, tant au niveau des levées de fonds, qu’à celui de l’investissement et du désinvestissement. Le secteur entre dans un cercle vertueux».
Selon lui, les trois fonctions clés (lever, investir et désinvestir) sont désormais maîtrisées. Le marché boursier, redevenu attractif, facilite également les sorties «par la voie royale» : les IPO. Depuis la pandémie, les introductions en Bourse se multiplient, et plusieurs opérations sont attendues d’ici fin 2025. Un changement culturel s’opère chez les entrepreneurs, de plus en plus enclins à envisager la cotation comme issue naturelle d’une trajectoire de croissance financée par les fonds.
Le coup d’accélérateur du FM6I
Cette dynamique, déjà solide, vient de recevoir un appui de taille. Celui du Fonds Mohammed VI pour l’investissement. Créé pour accompagner la relance post-Covid et soutenir des secteurs stratégiques dans la perspective du Mondial 2030, le FM6I ambitionne de changer d’échelle. Le 10 juillet 2025, le Fonds a annoncé la sélection de 14 sociétés de gestion (marocaines et internationales) pour piloter des fonds sectoriels ou généralistes.
Les domaines couverts vont de l’industrie au tourisme, en passant par l’agriculture et la logistique. Avec 4,5 Mds de DH engagés par le FM6I et 14,5 Mds de DH mobilisés par les sociétés sélectionnées, ce sont 19 Mds de DH qui seront injectés dans l’économie à court terme. L’effet de levier est remarquable: 1 Dirham public en génère 4 dirhams privés. Sur un horizon plus large, ces véhicules d’investissement devraient permettre de mobiliser entre 50 et 60 Mds de DH, triplant potentiellement la taille historique de l’industrie.
«En 15 ans, le secteur a levé 15 milliards. Ce montant sera doublé en deux ans grâce au FM6I», souligne dans ce sens Hassan Laaziri. Au-delà des montants levés, c’est la structuration de l’écosystème qui se joue. L’installation de sociétés de gestion internationales au Maroc, l’attraction de talents spécialisés et la montée en compétence des acteurs locaux placent le Royaume en position de hub régional du private equity.
Toutefois, certains maillons manquent encore. Le dispositif marocain souffre d’un vide juridique sur les procédures préventives de traitement des difficultés des entreprises. Aujourd’hui, nombre de sociétés n’accèdent à la justice commerciale qu’à un stade avancé de dégradation. L’introduction de mécanismes comme le mandat ad hoc ou la conciliation, utilisés en France par exemple, permettrait une gestion plus précoce et plus discrète des tensions financières.
Ces outils offrent de multiples avantages : confidentialité, gel temporaire des sûretés, accompagnement structuré par des professionnels du restructuring, et privilèges accordés au «New money». Autre levier potentiel : la création d’un comité interministériel dédié aux entreprises en difficulté, sur le modèle du CIRI français. Une telle instance renforcerait la coordination entre acteurs publics et privés pour préserver les entreprises à fort enjeu économique ou social.
Le marché du capital-investissement n’est donc plus en phase d’expérimentation. Il entre dans un cycle d’accélération et de consolidation des acquis, porté par un alignement de facteurs favorables : maturité des acteurs, profondeur croissante des marchés de capitaux, implication de l’État, et changement de paradigme entrepreneurial. Pour transformer l’essai, le secteur devra encore gagner en fluidité réglementaire, en diversité d’acteurs, et en capacité à accompagner le redressement des entreprises. Si ces conditions sont réunies, le Maroc pourra non seulement absorber davantage de capitaux, mais aussi devenir un modèle régional d’industrialisation par l’investissement patient.