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Le dilemme des Banques centrales

Le dilemme des Banques centrales

La politique des taux zéro mise en place par la FED et de la BCE depuis la crise de 2008 a fini par confirmer une règle élémentaire en économie : «Quand l’argent ne coûte pas cher, tout coûte cher».

Après plus d’une décennie de politique monétaire expansionniste ayant abouti à la création de plusieurs milliers de milliards de dollars et d’euros, il est temps peut-être pour les principales Banques centrales occidentales de passer à la caisse. Et la facture risque d’être bien salée.

Il est en effet évident pour tout économiste ayant un minimum de recul historique que l’actuelle poussée inflationniste sur les marchés des matières premières et dans les économies réelles, est faussement attribuable au conflit russo-ukrainien qui a bon dos ces temps-ci. Ce dernier n’est de fait qu’un catalyseur. Une manière comme une autre de dédouaner le «quoi qu’il en coûte» de Mario Draghi pour sauver l’Euro, et la prise en otage du pouvoir politique américain par un système bancaire irresponsable et hypertrophié à travers le «Too big to fail».

La politique des taux zéro mise en place par la FED et de la BCE depuis la crise de 2008 a fini par confirmer une règle élémentaire en économie : «Quand l’argent ne coûte pas cher, tout coûte cher».

Dopés par de l’argent gratuit, voire même offert à travers des taux réels négatifs, les marchés financiers se sont retrouvés très rapidement après la crise de 2008 en lévitation, via des bulles spéculatives, qui jusque-là épargnaient l’économie réelle. La croissance économique était faible mais existante, le chômage diminuait en apparence du moins, et l’inflation était faible, voire même souhaitée il y a de cela quelques années. Quant aux gouvernements européens et américains, le rachat des dettes souveraines sur le marché secondaire par la BCE et la FED permettait de nourrir des politiques de relance à travers un accroissement des dettes souveraines à taux très faibles.

Puis la parenthèse Covid est passée par-là. Risque de crise vous dites ? Pas de problème, la planche à billet est toujours là, et c’est reparti pour un tour d’illusion monétaire à travers de nouvelles politiques monétaires expansionnistes : la logique libérale du marché libre sera à nouveau mise de côté, une aide directe et massive aux ménages et aux entreprises sera mise en place à travers de la dette, et aucune entreprise ne devra faire faillite, et ce «quoi qu’il en coûte».

Cependant, et pour reprendre une parabole des Evangiles, l’homme prudent qui a bâti sa maison sur un roc, est-il comparable à l’homme insensé qui a bâti sa maison sur du sable ? Evidemment que non. Pour le dernier, «la pluie est tombée, les torrents ont dévalé, les vents ont soufflé et la maison s’est écroulée entièrement».
Des économies fondées sur de la dette et une illusion monétaire ne peuvent que s’écrouler à la première fissure dans ce fragile édifice. L’inflation actuelle est par conséquent le symptôme d’un mal plus profond.

Face à l’éternel retour du réel, que peuvent les Banques centrales ? Rehausser brutalement les taux directeurs pour juguler l’inflation ? L’effet immédiat d’une telle initiative aboutira nécessairement à un crash financier au profit de valeurs refuges comme l’or, certaines devises stables, ou encore le bitcoin, du fait de l’addiction importante des marchés financiers à l’argent facile et gratuit. De même, une telle initiative aboutira nécessairement à une crise massive des dettes souveraines, notamment européennes, à travers une hausse significative des taux sur ces dernières.
Ne rien faire reviendrait à laisser cette inflation s’installer dans la durée, avec pour conséquences une récession économique profonde et durable, avec tous les risques de révoltes sociales et d’instabilité politique qui en résulteront.
Ou encore, y aller graduellement à travers plusieurs petites hausses successives des taux ? La FED peut à la limite se permettre une telle approche malgré son coût exorbitant, tant que le Dollar continue de jouir d’une quasi-hégémonie au niveau du commerce mondial. Ce n’est pas forcément le cas pour la zone Euro dont les risques d’éclatement n’ont jamais été aussi importants depuis la crise des dettes de 2010-2012.
Et vu le contexte géopolitique actuel à travers le bras de fer énergétique entre Bruxelles et Moscou, il n’est pas exclu qu’il s’agisse en partie d’une manoeuvre américaine, en vue d’affaiblir l’un de ses principaux rivaux économiques, à savoir l’Union européenne. Une stratégie qui à travers un effet de vase communiquant profitera et profite déjà au Dollar qui ne cesse de s’apprécier au détriment de l’Euro, autant qu’à l’économie américaine qui continuera de drainer de plus en plus de capitaux, au détriment d’une zone Euro de moins en moins fiables et stables.
L’Euro sacrifié sur l’autel du Dollar comme sortie de crise ? Ça ne m’étonnerait pas des stratèges américains qui ont la répulsion de ne point hésiter à lâcher un allié, dès que cela profite d’une manière ou d’une autre à leurs intérêts vitaux, en l’occurrence le Dollar. 

Ainsi, en poussant l’Europe à la guerre par procuration face à Moscou autant au niveau militaire qu’économique et énergétique, les Etats-Unis visent à faire d’une pierre trois coups : phagocyter les marchés européens, sauver le Dollar au détriment de l’Euro, et isoler un ennemi stratégique, la Russie.
En attendant, face à cette guerre des titans, le reste du monde continue de souffrir, en espérant un dénouement, d’une manière ou d’une autre, pour le meilleur et pour le pire.  

Rachid Achachi, chroniqueur, DG d’Arkhé Consulting

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