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Maroc Telecom : la révolution silencieuse de Benchaâboun

Maroc Telecom : la révolution silencieuse de Benchaâboun

À peine quelques mois après son arrivée à la tête de Maroc Telecom, Mohamed Benchaâboun a déjà imprimé sa marque. Derrière sa discrétion bien connue, c’est une stratégie finement orchestrée qui se déploie, redonnant souffle et cap à l’opérateur historique. Mais vers où ?

 

Par A. Hlimi

Fin février 2025, un vent nouveau souffle sur le siège de Maroc Telecom. Dans la tour du boulevard Annakhil à Rabat, c’est une page d’histoire qui se tourne. Abdeslam Ahizoune, homme fort du groupe depuis 27 ans, passe la main. L’arrivée de Mohamed Benchaâboun, annoncé comme président du Directoire pour un mandat de deux ans, fait du bruit, aussi bien en interne qu’à l’extérieur de la Tour. Et dans les couloirs, on sait déjà que l’homme n’est pas là pour gérer l’héritage, mais pour ouvrir un nouveau chapitre.

Spécialistes des télécoms, banquier, ministre, ambassadeur…, le CV du nouveau patron impressionne autant par sa densité que par sa cohérence pour le poste. Benchaâboun, c’est l’école de la réforme : celle menée au ministère de l’Économie, dans le monde bancaire ou sur les dossiers sensibles de la diplomatie économique. Un profil transversal, à la frontière des mondes public et privé. Juste ce qu’il faut pour remettre de l’ordre dans une maison chahutée par la concurrence et les affaires en justice.

Le triptyque gagnant Très vite, les premières décisions tombent. La gouvernance de Maroc Telecom, construite sur un modèle dualiste devenu poussif, est entièrement revue. Le Directoire et le Conseil de surveillance sont dissous, laissant place à un Conseil d’administration unique. Ce changement, validé en assemblée générale extraordinaire, n’est pas qu’un simple remaniement administratif.

C’est un signal fort des actionnaires pour accompagner la nouvelle dynamique : le temps des structures lourdes est révolu. Il faut décider vite, parler d’une seule voix, avancer avec clarté. Mohamed Benchaâboun sera ensuite confirmé en tant que Directeur général. Avec les syndicats, là aussi le chantier est ouvert rapidement, et c’est à travers eux que l’on apprend qu’un nouvel accord global a été trouvé pour revaloriser les conditions de travail. Là où d’autres auraient voulu marquer cette avancée à coups de déclarations, lui privilégie le silence.

En interne, l’approche rassure. Gouvernance et ressources humaines désormais armées, place aux ressources financières. Et là aussi, beaucoup d’avancées sont à signaler. L’ancien ministre des Finances déroule son art : en juin, Maroc Telecom lève 3 milliards de dirhams via une émission obligataire privée, à des conditions très compétitives. La première du genre pour l’opérateur. L’opération est réalisée au taux fixe de 2,37%, intégrant une prime de risque extrêmement compétitive de 20 points de base.

«Une opération majeure qui illustre non seulement la solidité du groupe, mais aussi sa volonté d’ancrer son action dans les grands chantiers de modernisation numérique du Maroc», se félicite le groupe dans un communiqué. Quelques jours plus tard, un prêt international de 370 millions d’euros est négocié avec la Société financière internationale (IFC) pour soutenir l’expansion en Afrique. Ce double mouvement - refinancement domestique et levée de fonds à l’international - redonne à l’opérateur de l’oxygène et de l’ambition.

Le groupe peut désormais investir dans la modernisation de son réseau, notamment au Maroc avec la 5G. Mais aussi en Afrique subsaharienne où il reste un acteur majeur. Et ce, sans dégrader sa solidité financière. Il peut également reprofiler sa dette à des taux avantageux et pourquoi pas rechercher de nouvelles opérations de croissance externe. En alignant une gouvernance agile, une meilleure mobilisation des ressources humaines et financières, Maroc Telecom version Benchaâboun peut désormais aborder l’avenir plus sereinement.

L’accord du siècle

Mais c’est sur le terrain du dialogue concurrentiel que le nouvel homme fort de Maroc Telecom surprend le plus. Depuis des années, un contentieux juridique explosif empoisonne les relations avec inwi. L’affaire est lourde : accusations d’abus de position dominante, amendes record, procédures judiciaires interminables.

Un caillou dans la chaussure, devenu pierre d’achoppement. Et puis, le retournement. Maroc Telecom et inwi annoncent, ensemble, l’enterrement de la hache de guerre qui se matérialisera, il y a quelques jours, par la création de deux coentreprises : Uni Fiber pour déployer la fibre optique dans tout le pays, et Uni Tower pour partager les infrastructures 5G. Investissement : 4,4 milliards de dirhams. Horizon : 5 à 10 ans.

Une page est tournée, et elle l’est sans fracas, sans gesticulations. L’accord prévoit aussi un règlement à l’amiable du fameux contentieux, allégeant l’indemnité que Maroc Telecom devra payer de plus de 2 milliards de dirhams. Un coup de maître que beaucoup attribuent à la diplomatie silencieuse de Benchaâboun et au bon niveau d’entente avec le patron d’inwi.

Une offensive commerciale tous azimuts

La paix revenue, l’opérateur peut enfin se concentrer sur ses clients. Et là aussi, la relance est immédiate. En avril, Maroc Telecom revoit entièrement son offre fibre. Les débits sont doublés, les prix révisés à la baisse, le tout sans surcoût pour les abonnés. Une manière habile de regagner la bataille de la perception, dans un secteur où Orange et inwi avaient pris de l’avance. Sur le mobile, le chantier reste plus complexe. Les parts de marché ont fondu au fil des années, passant sous la barre des 33%.

Mais Maroc Telecom, fort de sa couverture 4G+ du pays (plus de 99% de la population), entend reconquérir le terrain perdu à coup d’innovation, de qualité de service et de segmentation plus fine. La bataille sera rude, mais le message est clair. L’immobilisme n’est plus une option. Derrière ce bilan express, c’est un style qui s’affirme. Celui d’un homme peu enclin aux coups d’éclat, mais résolument déterminé. Un stratège discret qui privilégie les équilibres et les alliances intelligentes. Et surtout, un dirigeant qui sait où il va. Là où certains craignaient une transition prudente, Mohamed Benchaâboun installe, en quelques mois, une vision cohérente, lisible, apaisée. 

 

Biographie : Un parcours professionnel très riche
Né à Casablanca le 12 novembre 1961, Mohamed Benchaâboun a été nommé par le Roi Mohammed VI, le 20 août 2018, en tant que ministre de l'Économie et des Finances après avoir fait ses preuves dans le public et le privé. Lauréat de l'École nationale supérieure des télécommunications de Paris, il a été nommé en 1996 en tant que directeur à l’Administration des Douanes et impôts indirects. Trois ans plus tard, il rejoint la Banque Centrale Populaire où il a occupé plusieurs postes de Directeur général adjoint. En septembre 2003, le Roi le nomme Directeur général de l'Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT). En février 2008, il retrouve la BCP en tant que PDG. Au cours de sa carrière, il est passé par Alcatel-Lucent. Actuellement, il est membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE), administrateur de banques et d’entreprises, et également membre des Conseils de la Fondation Mohammed V pour la solidarité et de la Fondation Mohammed VI pour la protection de l'environnement. Il a été ambassadeur du Maroc en France d'octobre 2021 à janvier 2023. 

 

 

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