Devenue incontournable dans l’ère de l’IA générative, Nvidia règne sur les GPU comme Microsoft sur les systèmes d’exploitation à son apogée. Son hégémonie matérielle et logicielle transforme l’infrastructure mondiale jusqu’à toucher les ambitions numériques du continent africain.
Par K. A.
En quelques années, Nvidia s’est imposée comme l’entreprise la plus emblématique de la révolution de l’intelligence artificielle. Fondée en 1993 par Jensen Huang, la firme californienne a longtemps régné sur le marché des cartes graphiques destinées aux joueurs, avant de devenir le cœur battant de l’économie numérique mondiale. Aujourd’hui, ses processeurs, les GPU, alimentent les modèles d’IA générative, les supercalculateurs et les data centers des plus grandes entreprises de la planète.
La clé du succès de Nvidia réside dans sa domination absolue du segment Data Center, qui représente désormais plus de 85% de son chiffre d’affaires. Au 2ème trimestre de l’exercice fiscal 2025, Nvidia a réalisé un chiffre d’affaires d’environ 30,0 milliards de dollars, en hausse de +122% d’une année sur l’autre. Toujours pour ce trimestre, le segment «Data Center» a généré 26,3 milliards de dollars, soit une croissance de +154% en glissement annuel.
En quelques trimestres, la demande mondiale en puissance de calcul a explosé, portée par les investissements colossaux de Microsoft, Amazon, Google ou Meta dans leurs clouds dédiés à l’IA. Les processeurs H100, B100 et la nouvelle génération Blackwell GB200 sont devenus les pierres angulaires des systèmes capables d’entraîner des modèles comme ChatGPT ou Gemini. Ces puces, dont le prix unitaire dépasse parfois les 30.000 dollars, s’arrachent sur un marché où Nvidia détient environ 90% des parts.
Un écosystème verrouillé
Si Nvidia conserve une telle avance, c’est aussi grâce à son écosystème logiciel. Le langage CUDA, développé depuis plus de 15 ans, reste le standard mondial pour exploiter la puissance de ses GPU. Cette maîtrise simultanée du matériel et du logiciel crée un effet de verrouillage : des millions de développeurs et de laboratoires dépendent des outils Nvidia pour leurs projets d’IA.
Les chiffres confirment cette hégémonie : selon Jon Peddie Research, Nvidia détenait 94% du marché mondial des GPU discrets au deuxième trimestre 2025. En parallèle, son infrastructure logicielle s’étend à tous les secteurs: automobile, santé, robotique, recherche scientifique ou cybersécurité.
«La progression de Nvidia dans le domaine de l’IA ne se limite pas à un simple raffinement technologique : elle change les bases mêmes de l’infrastructure informatique globale. Ces architectures massivement parallèles, d’abord destinées au jeu vidéo, permettent désormais à des modèles génératifs, des supercalculateurs et des plateformes cloud de prendre vie, et ce à une échelle que l’on n’avait jusqu’alors pas imaginée», analyse Soufiane Rguibi, expert en intelligence artificielle.
De la Silicon Valley à l’Afrique
C’est précisément cette vision d’une intelligence mondiale décentralisée qui explique l’expansion de Nvidia vers de nouveaux territoires, notamment l’Afrique. Alors que les États-Unis, l’Europe et l’Asie concentrent la majorité des supercalculateurs, la prochaine frontière du calcul se dessine au Sud, où la demande en infrastructures numériques explose. Au Maroc, deux projets structurants traduisent ce basculement :
• Un campus de data centers IA de 500 MW porté par Naver Corporation, avec la participation de Nvidia et Nexus, dont la première phase (40 MW) doit démarrer fin 2025;
• Un programme africain de 700 millions de dollars mené avec Cassava Technologies pour déployer des data centers IA à travers le continent.
Ces initiatives pourraient faire du Royaume un hub régional du calcul intensif, au carrefour de l’Europe et de l’Afrique. L’arrivée de tels projets ouvre une nouvelle ère pour le numérique au Maroc. Les acteurs du secteur, qu’il s’agisse d’entreprises, de chercheurs ou de jeunes innovateurs, auront désormais accès à une puissance de calcul locale capable de soutenir la recherche en intelligence artificielle, l’analyse de données massives et le développement de solutions industrielles.
Pour Rguibi, «Nvidia symbolise la bascule du monde vers une économie pilotée par la donnée et la puissance de calcul. Son avance sur le marché des GPU n’est pas seulement technologique : elle traduit une nouvelle hiérarchie mondiale fondée sur l’accès au «compute».
Pour les pays émergents, y compris le Maroc, cette révolution représente à la fois un défi et une opportunité : celui de bâtir nos propres infrastructures d’intelligence artificielle, plutôt que de dépendre éternellement de celles des autres». L’enjeu pour le Maroc n’est plus d’adopter la technologie, mais d’en devenir l’un des moteurs régionaux. C’est tout le sens de Maroc Digital 2030 : transformer la consommation numérique en puissance de création et d’innovation.