Avec 85,8 milliards de dirhams d’exportations agricoles en 2024, le Maroc confirme la robustesse de son offre. Mais cette performance s’accompagne d’une contrainte : s’adapter rapidement à une normalisation de plus en plus complexe, tout en préparant une stratégie de diversification au-delà du marché européen.
Par Y. Seddik
Malgré une conjoncture climatique incertaine et un resserrement des exigences réglementaires européennes, les exportations agricoles marocaines ont poursuivi leur dynamique en 2024. Selon les derniers chiffres publiés, le secteur a généré 85,8 milliards de dirhams de recettes à l’export, enregistrant une croissance de 3,1% par rapport à l’année précédente. Une performance qui masque toutefois une tension croissante entre la compétitivité des produits marocains et les standards de plus en plus stricts imposés par les marchés européens, principal débouché du Royaume.
À l’origine de cette progression modérée mais constante, plusieurs filières continuent de tirer leur épingle du jeu. Les fruits et légumes frais, en particulier les tomates, les fruits rouges et les agrumes, représentent toujours le socle des exportations agricoles. Le marché européen reste dominant, captant près de 70% des volumes exportés. Le développement de l’outil industriel autour de la transformation légère, de la logistique frigorifique et de l’emballage éco-responsable a permis de renforcer la valeur ajoutée locale.
De plus, des actions ciblées menées à l’échelle régionale, comme dans le SoussMassa ou le Gharb, ont contribué à améliorer la qualité des produits proposés à l’export. Mais cette dépendance à un seul bloc économique commence à inquiéter. L’Union européenne, en effet, fait évoluer rapidement son cadre réglementaire, dans le sillage du Pacte Vert et de la stratégie «Farm to Fork». Et c’est ici que les premiers vents contraires apparaissent.
Un cadre européen plus exigeant
Pesticides, traçabilité, empreinte carbone, emballages plastiques, droits sociaux..., les critères d’accès au marché européen sont désormais multiples et cumulatifs. Depuis 2023, plusieurs produits marocains ont fait l’objet de contrôles renforcés aux frontières européennes, notamment en Espagne, aux Pays-Bas ou en France, où certains lots ont été refusés pour non-conformité aux limites maximales de résidus (LMR) ou absence d’étiquetage conforme. Pour les opérateurs marocains, cette nouvelle donne représente un défi économique autant que technique.
La mise en conformité implique des surcoûts importants en termes de certification, de gestion documentaire et d’ajustements dans les pratiques culturales. Et tout le monde n’a pas les mêmes moyens pour y répondre. «On nous demande de nous aligner sur des normes qui bougent chaque année, tout en restant compétitifs face à d’autres producteurs méditerranéens. Cela devient un exercice d’équilibriste», nous confie un exportateur de fruits rouges basé à Larache.
Conscient des enjeux, le ministère de l’Agriculture et les structures techniques, comme l’ONSSA ou Morocco Foodex, ont intensifié leurs efforts pour accompagner les exportateurs. Des plans de mise à niveau ont été lancés dans plusieurs filières stratégiques, avec un appui au respect des normes phytosanitaires, à la certification internationale (GlobalGAP, GRASP) et à la digitalisation de la traçabilité. La généralisation de systèmes d’identification des parcelles et l’intégration de QR codes sur les produits à destination de l’Europe participent à renforcer la transparence. Le Maroc a également multiplié les formations techniques à l’attention des producteurs, notamment pour les coopératives en zones rurales.
Diversification géographique : un pari à long terme
Aussi, face à cette pression européenne, la diversification des débouchés devient stratégique. L’Afrique de l’Ouest, le Moyen-Orient ou encore l’Asie du Sud-Est sont perçus comme des relais de croissance potentiels. Des accords bilatéraux ont été signés avec l’Arabie Saoudite, le Brésil ou l’Inde, mais les volumes restent marginaux pour l’instant. Le principal frein reste l’infrastructure commerciale : absence de reconnaissance des certifications marocaines, barrières non tarifaires, frais logistiques élevés et manque de représentation commerciale structurée sur place. Le potentiel est là, mais les investissements pour le capter sont encore embryonnaires.
Dans ce contexte, les experts s’accordent à dire que l’avenir des exportations agricoles marocaines ne peut reposer uniquement sur les volumes. Il s’agit désormais de monter en gamme, en misant sur des produits transformés localement, éco-certifiés, et porteurs d’un récit d’origine différenciant. Il s’agit de faire de l’agriculture marocaine une force durable, compétitive et respectueuse des exigences de demain.