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Transition énergétique : pourquoi le Maroc mise sur l’hydrogène vert

Transition énergétique : pourquoi le Maroc mise sur l’hydrogène vert

Avec plus de 300 milliards de DH d’investissements validés, le Royaume se lance dans une course stratégique pour capter une part majeure du futur marché mondial de l’hydrogène. Des consortiums internationaux s’installent dans les provinces du Sud, signe que le Maroc devient un hub énergétique convoité.

 

Par Désy M.

Le marché mondial de l'hydrogène représente actuellement 100 millions de tonnes. Il est en mutation en raison des contraintes de décarbonation, poussant les grands consommateurs (off-takers) à rechercher des sources d'hydrogène bas carbone. A fin 2024, environ 75 milliards de dollars de projets d'hydrogène ont été décidés et sont en construction ou en opération, car ils ont des clients engagés.

De plus, 200 à 300 milliards de dollars de projets sont en phase d'étude pour les 3 ou 4 prochaines années. Dans ce contexte, le Maroc n’avance plus à pas mesurés sur l’hydrogène vert : il accélère. En validant en mars 2025 six projets industriels majeurs dans les régions de Laâyoune, Guelmim et Dakhla pour un montant total de 319 milliards de dirhams (près de 30 milliards d’euros), le Royaume envoie un signal fort. Il veut s’imposer comme un acteur central sur le marché mondial de l’hydrogène vert et aspire ainsi à couvrir plus de 4% de la demande d’ici 2030. Ces projets, portés par des consortiums de géants internationaux, notamment allemands, américains, saoudiens, chinois, émiratis et marocains, visent à produire de l’hydrogène, de l’ammoniac, de l’acier vert ou encore des carburants propres pour le transport maritime.

Le groupe ORNX, par exemple, regroupe les entreprises Ortus (USA), Acciona (Espagne) et Nordex (Allemagne), et ciblera la production d’ammoniac vert. D’autres comme Taqa, CEPSA, Nareva, ou encore le chinois China Three Gorges ont également été retenus, illustrant l’intérêt international croissant pour le potentiel marocain. Le Maroc peut compter sur un avantage structurel majeur : ses ressources renouvelables sont quasi illimitées. Grâce à des taux d’ensoleillement record et des régimes de vents puissants dans les provinces du Sud, le pays peut produire de l’hydrogène vert à des coûts parmi les plus bas au monde, proches de 2 dollars/kg, selon l’Institut de recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (IRESEN).

Ce prix représente un seuil crucial pour que l’hydrogène devienne compétitif face aux énergies fossiles. À l’échelle mondiale, l’hydrogène n’est plus réservé aux véhicules à pile, dont l'essor est aujourd'hui largement dépassé par les batteries. Il devient la clé pour décarboner des pans entiers de l'industrie lourde (acier, engrais, ciment), mais aussi pour remplacer le gaz et le charbon dans les centrales électriques. Et c’est là que le Maroc entend jouer un rôle stratégique.

L’hydrogène, levier de souveraineté

Cette course n’est pas une mode, c’est une bataille géoéconomique qui se joue à grande échelle. Des pays comme l’Allemagne, lourdement dépendants du gaz russe, ont fait un revirement depuis la guerre en Ukraine. Berlin prévoit désormais d’importer 70% de son hydrogène, et cherche activement des partenaires fiables. Le Maroc s’inscrit clairement dans cette stratégie européenne, et une déclaration d’intention bilatérale germano-marocaine a été signée en juin 2024 pour soutenir les investissements et les interconnexions. Annalena Baerbock, ministre des Affaires étrangères allemande, avait affirmé à cette occasion que «le Maroc est déjà un phare dans cette transition dans la région».

De plus, le projet de pipeline H2Med, qui reliera le Portugal, l’Espagne et la France, prévoit aussi une extension vers le Maroc, ce qui offrirait au Royaume une porte d’entrée directe vers les marchés industriels européens. À terme, cette infrastructure permettrait d’exporter l’hydrogène marocain, ou l’ammoniac, son dérivé plus facilement transportable, jusqu’aux usines allemandes ou françaises. Et c’est justement l’ammoniac qui pourrait transformer le modèle économique du Maroc. Produit à partir d’hydrogène, ce dérivé est déjà utilisé à grande échelle dans les engrais, un secteur stratégique pour le pays, où le groupe OCP est le cinquième exportateur mondial.

Cependant, une problématique se pose  selon laquelle le Maroc importe encore l’ammoniac au prix fort : 2 milliards de dollars par an, principalement auprès de la Russie et des États-Unis. Une situation paradoxale pour un pays qui possède les plus grandes réserves mondiales de phosphate. En développant sa propre production d’ammoniac vert, le Royaume pourrait boucler sa chaîne de valeur des engrais: énergie renouvelable, hydrogène, ammoniac et phosphate. Résultat : un renforcement de sa souveraineté industrielle, une montée en gamme de ses exportations et une compétitivité accrue sur un marché mondial estimé à plus de 200 milliards de dollars, au même niveau que celui de l’or.

Le Maroc ne joue pas simplement la carte de l’hydrogène pour répondre à des engagements climatiques. Il s’agit d’un choix économique et stratégique majeur, qui redessine les contours de sa politique industrielle, énergétique et diplomatique. À travers l’hydrogène vert et ses dérivés, le Royaume peut non seulement prétendre à un rôle de fournisseur stratégique pour l’Europe, mais aussi à une restructuration profonde de son tissu industriel. Une ambition crédible, à condition de réussir l’exécution, la gouvernance des projets et l’industrialisation rapide des filières. Mais une chose est sûre : la fenêtre d’opportunité est là et le Maroc entend bien ne pas la laisser passer. 

 

 

 

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