Il s’est doté d’une feuille de route ambitieuse en matière d’intelligence artificielle. Les 1er et 2 juillet, responsables publics, experts, chercheurs et entrepreneurs se sont réunis à l’Université Mohammed VI Polytechnique de Rabat pour les premières Assises nationales de l’intelligence artificielle.
Par K. A.
Face aux mutations rapides de la technologie mondiale, le Maroc engage une démarche ambitieuse pour intégrer l’intelligence artificielle dans son développement économique, social et stratégique. Les Assises nationales ont ouvert un cycle de réflexion sur le potentiel et les risques de cette technologie.
Le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a donné le ton dès l’ouverture. «Le Maroc a fait le choix d’investir massivement dans sa transformation digitale. Nous consacrons 11 milliards de dirhams au programme Digital Morocco 2030 pour renforcer la connectivité, moderniser l’administration et créer de nouvelles opportunités économiques», a-til déclaré.
Selon lui, l’IA représente un «levier de compétitivité et de souveraineté» qu’aucun pays ne peut ignorer. Akhannouch a rappelé que l’intelligence artificielle transformera 40% des métiers actuels et générera des milliers de nouveaux postes nécessitant des compétences spécialisées. Treize secteurs jugés prioritaires ont structuré les échanges. La réforme administrative figurait en tête. L’éducation, la santé, l’agriculture intelligente, l’industrie X.0, la sécurité, la culture, l’énergie, les médias, l’innovation, la gouvernance et les infrastructures ont également fait partie des thèmes débattus. L’enjeu consistait à «articuler une stratégie cohérente et réaliste» pour intégrer l’IA dans tous les pans de l’économie et des services publics. Le ministre de l’Éducation nationale, Mohamed Saad Berrada, a insisté sur l’urgence d’investir dans la formation.
«L’intelligence artificielle peut nous aider à mieux gérer les données des élèves et des enseignants, personnaliser les parcours scolaires et renforcer la maîtrise des langues», a-t-il expliqué. Il a ajouté que son département travaillait déjà sur des outils capables de réduire l’absentéisme et d’adapter les contenus pédagogiques aux besoins de chaque élève.
Le ministère de l’Éducation souhaite doter plus de 12.000 établissements de solutions numériques d’ici 2027. Selon les données de la Banque mondiale, le Maroc devra former plus de 45.000 profils spécialisés en intelligence artificielle et en sciences des données d’ici 2030. Actuellement, l’offre de formation reste concentrée dans quelques universités publiques et écoles privées, comme l’école de codage 1337 qui forme environ 500 étudiants par an.
Dans ce contexte, Mohamed Saad Berrada affirme : «Nous travaillons déjà à digitaliser plus de 12.000 établissements scolaires d’ici 2027, et à intégrer l’IA pour personnaliser les parcours d’apprentissage et réduire l’absentéisme». Il ajoute que «le pays doit impérativement préparer ces milliers de spécialistes pour répondre aux besoins croissants des secteurs public et privé». Dans le même esprit, plusieurs experts ont rappelé que l’intelligence artificielle ne pouvait se développer sans investissements massifs en infrastructures numériques.
Selon les estimations communiquées lors des Assises, le Royaume devra mobiliser plus de 20 milliards de dirhams d’ici 2030 pour moderniser les réseaux de connectivité, renforcer la cybersécurité et équiper les administrations en solutions intelligentes. Cette ambition s’appuie sur la feuille de route Digital Morocco 2030, qui prévoit notamment la couverture haut débit de 100% des établissements publics et la création de plateformes numériques interconnectées pour faciliter les services aux citoyens.
Innovation au premier plan
La ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, Leila Benali, a rappelé que l’IA ne peut exister sans une infrastructure énergétique robuste. «Sans énergie, pas de serveurs, pas de data centers, pas d’intelligence artificielle», a-t-elle souligné. Elle a précisé que le Maroc prévoit de doubler ses capacités de production d’énergies renouvelables en moins de cinq ans. Le Royaume veut porter la part des énergies vertes à 52% de son mix électrique à l’horizon 2030.
Selon l’Agence internationale de l’énergie, les data centers représenteront d’ici cinq ans près de 3% de la demande électrique mondiale, contre 1,5 % aujourd’hui. Cette perspective justifie les investissements prévus dans les fermes solaires et les projets éoliens. Le gouvernement estime qu’entre 2024 et 2028, près de 50 milliards de dirhams d’investissements énergétiques accompagneront la digitalisation du pays.
Ces infrastructures visent à attirer les géants du cloud et de l’hébergement de données, dont plusieurs ont exprimé un intérêt pour l’Afrique du Nord. Le ministre de l’Inclusion économique, Younes Sekkouri, a quant à lui souligné que l’intelligence artificielle allait remodeler le marché du travail. «L’IA est un facteur déterminant qui va créer de nouvelles opportunités d’emploi, mais aussi en supprimer. Notre rôle est de préparer les citoyens et les entreprises à cette mutation», a-t-il affirmé. Il a rappelé que près de 60% des entreprises marocaines considèrent que leur compétitivité dépendra de l’adoption de solutions intelligentes dans les cinq prochaines années.
Pour Sekkouri, «le gouvernement doit accompagner cette révolution en instaurant un cadre juridique clair et incitatif». Les startups ont occupé une place importante dans le programme des Assises. Plusieurs jeunes pousses marocaines ont exposé des solutions innovantes dans la santé, la finance, l’agriculture et la sécurité. L’Université Mohammed VI Polytechnique, qui accueillait une partie des travaux, a recensé plus de 120 projets pilotes intégrant de l’intelligence artificielle ces deux dernières années. Selon un rapport de McKinsey, l’IA pourrait contribuer à hauteur de 13% du PIB mondial d’ici 2030, soit 13.000 milliards de dollars de création de valeur.
Le Maroc veut saisir sa part de cette croissance, en capitalisant sur ses infrastructures télécoms et la pénétration d’Internet qui dépasse 90% dans les zones urbaines. Confiance et éthique indispensables La dimension éthique et réglementaire a également été au cœur des débats. Amal El Fallah Seghrouchni, ministre déléguée chargée de la Transition numérique et de la Réforme de l'administration, a insisté sur la nécessité d’établir des garde-fous clairs.
«Nous devons bâtir une intelligence artificielle qui respecte nos valeurs et protège les droits fondamentaux», a-t-elle affirmé. Le ministère prépare un cadre de gouvernance destiné à encadrer l’usage des algorithmes, protéger les données personnelles et garantir la transparence des systèmes décisionnels. Selon le dernier rapport Digital Trust Index, 68% des citoyens marocains se disent inquiets des risques liés à l’utilisation de leurs données. La question de la confiance numérique constitue un pilier central de la future stratégie.
Le Maroc veut ainsi se positionner comme un acteur crédible de l’intelligence artificielle en Afrique et au Moyen-Orient. Le chef du gouvernement a résumé cette ambition en une phrase : «Nous avons choisi d’embrasser l’ère de l’IA avec confiance et responsabilité. C’est un choix stratégique et un devoir envers les générations futures». Les Assises nationales de l’intelligence artificielle marquent un point de départ. Elles rappellent que la compétitivité ne se décrète pas : elle se construit avec des talents, des infrastructures et une vision partagée. Pour le Maroc, ce pari technologique devient désormais une priorité nationale.