La récente coupure électrique qui a frappé la péninsule ibérique a eu des répercussions jusqu’au Maroc, mettant en évidence la fragilité des interconnexions électriques et numériques dans la région. La diversification des interconnexions et des investissements stratégiques s’impose pour limiter les effets de ricochet sur le Royaume. Entretien avec Mohamed Tmart, expert en sécurité informatique.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : La panne électrique qui a eu lieu en Espagne, Portugal et une partie du sud de la France a eu des répercussions jusqu’au Maroc, notamment une dégradation de la qualité de connexion chez certains opérateurs. Que sait-on aujourd’hui de l’origine exacte de cet incident, et que révèle-t-il sur la fragilité des infrastructures critiques interconnectées entre l’Europe et le Maroc ?
Mohamed Tmart : À ce jour, les premières analyses indiquent que la panne est survenue à la suite d’une perte brutale d’environ 15 gigawatts de production électrique en Espagne, soit près de 60% de la demande nationale. Ce déséquilibre soudain a provoqué la déconnexion automatique de la péninsule ibérique du réseau électrique européen, entraînant un black-out quasi total en Espagne et au Portugal. Bien que le Maroc n’ait pas été directement affecté sur le plan électrique, en raison de la nature en courant continu de son interconnexion avec l’Espagne, des perturbations ont été observées dans les services Internet. Celles-ci s’expliquent par la forte dépendance de certains opérateurs marocains aux câbles sousmarins passant par la péninsule. Cet événement met en lumière la fragilité des interconnexions régionales et souligne la nécessité pour le Maroc de renforcer la résilience de ses infrastructures critiques face à des événements exogènes.
F. N. H. : Quelles orientations stratégiques recommanderiez-vous pour renforcer la souveraineté technologique du Maroc et limiter les effets de ricochet en cas de panne chez ses partenaires ?
M. T. : La première orientation essentielle consisterait à diversifier davantage les points d’interconnexion, notamment en développant de nouveaux câbles sous-marins indépendants de la péninsule ibérique, que ce soit vers l’Europe continentale ou vers l’Afrique de l’Ouest. En parallèle, il devient stratégique d’investir massivement dans les infrastructures nationales, en particulier dans les énergies renouvelables et les centres de données locaux. Cela permettrait au Maroc de mieux assurer sa propre autonomie énergétique et numérique. Il est aussi crucial de développer des capacités de stockage d’électricité et des solutions de secours pour les télécoms, afin de garantir la continuité de service même en cas de rupture de liaison. Enfin, cette résilience technologique ne peut être atteinte sans une gouvernance renforcée de la cybersécurité, intégrée dans chaque maillon de la chaîne d’approvisionnement technologique.
F. N. H. : Pourquoi cette panne a-t-elle immédiatement été perçue comme une cyberattaque ? Quels éléments de contexte ou signaux faibles alimentent aujourd’hui ce type de lecture quasi automatique d’un incident technique ?
M. T. : Nous vivons dans un contexte géopolitique tendu, où les cyberattaques contre des infrastructures critiques se sont multipliées ces dernières années, notamment en Europe de l’Est et en Amérique du Nord. Cela a alimenté une culture du soupçon autour de tout incident majeur, surtout lorsqu’il affecte plusieurs pays simultanément. Dans le cas de cette panne, l’ampleur de l’impact et l’absence initiale d’explication technique claire ont conduit de nombreux observateurs à suspecter une attaque informatique. Par ailleurs, les précédents tels que les attaques sur le réseau ukrainien ou les ransomwares ciblant des opérateurs d’infrastructures ont montré que les cybermenaces sont devenues des armes hybrides à part entière. Même si l’hypothèse cybernétique a été rapidement écartée par les autorités espagnoles, cette réaction illustre la sensibilité actuelle des États face à tout événement susceptible d’affecter leur stabilité numérique ou énergétique.
F. N. H. : Quels mécanismes concrets de prévention ou de gestion de crise devraient être renforcés dans les secteurs stratégiques comme les télécommunications ou le transport aérien, pour limiter l’impact de ce type de panne à l’avenir ?
M. T. : Face à des crises systémiques comme celle du 28 avril, il est impératif de renforcer les dispositifs de redondance dans les infrastructures critiques. Cela passe par la mise en place de réseaux de secours, l’augmentation des capacités de stockage d’énergie et le déploiement de solutions de backup dans les systèmes de télécommunications. Par ailleurs, les plans de continuité d’activité doivent devenir des outils vivants, testés régulièrement via des exercices de simulation. Les secteurs stratégiques comme le transport aérien ou les télécoms doivent également renforcer leurs protocoles de coordination avec les autorités nationales et internationales, afin d’assurer une réponse concertée et rapide en cas de défaillance. Enfin, la formation des équipes techniques et décisionnelles à la gestion de crise devient incontournable pour limiter les effets domino et garantir un retour rapide à la normale.