Family offices - Gestion de patrimoine : «Le Maroc doit passer d’une culture de possession à une culture patrimoniale»

Family offices - Gestion de patrimoine : «Le Maroc doit passer d’une culture de possession à une culture patrimoniale»

Au Maroc, le patrimoine est souvent synonyme de murs et de terrains. Pour Khalid Kabbadj, expert en gestion de patrimoine, cette vision doit évoluer: «posséder ne suffit plus». Le pays a besoin d’apprendre à structurer, protéger et transmettre la richesse; conditions indispensables pour bâtir une véritable industrie patrimoniale nationale.

 

Propos recueillis par Y. Seddik

Finances News Hebdo: Les Family offices sont aujourd’hui bien implantés aux États-Unis, en Europe et dans les pays du Golfe où ils jouent un rôle clé dans la gestion des grands patrimoines familiaux. Au Maroc, nous en sommes encore à un stade embryonnaire. D’après vous, qu’est-ce qui explique ce retard et quelles seraient les premières étapes concrètes pour amorcer leur développement ?

Khalid Kabbadj : Ce retard s’explique avant tout par un facteur culturel et économique. Au Maroc, on confond encore patrimoine et immobilier. La majorité des investissements se concentre sur l’achat de terrains et la construction, ou l’acquisition de l’or physique, perçus comme des valeurs refuges traditionnelles. C’est une approche sécuritaire, mais elle limite considérablement la performance globale du patrimoine et ne permet pas de construire une véritable stratégie à long terme. Ensuite, le marché des investissements est insuffisamment diversifié. Contrairement à l’Europe ou aux États-Unis, l’épargne bénéficie d’outils sophistiqués (assurance vie, PEA, SCPI, Private equity, fonds structurés…). Au Maroc, l’investissement reste majoritairement concentré sur le foncier et la construction. On investit dans des terrains, des appartements, parfois même des immeubles… mais très peu dans des placements financiers structurés. Enfin, il manque un écosystème réglementaire adapté. En France, par exemple, la profession de conseil patrimonial est encadrée (statuts CIF «Conseil en investissement financier», régulation par l’AMF «Autorité des marchés financiers»), et les Family offices reposent sur un cadre juridique et fiscal clair. Au Maroc, il faut créer ce cadre avant d’espérer attirer des capitaux. La première étape ? Former, structurer et réguler. Il faut éduquer à la culture patrimoniale, créer des statuts professionnels (conseillers patrimoniaux agréés) et encourager l’État à diversifier l’offre d’investissement pour donner plus d’options aux investisseurs et aux familles fortunées.

 

F. N. H. : Si le Maroc parvient à structurer un écosystème crédible autour des Family offices, quel rôle pourrait-il jouer à l’échelle régionale? Peut-il devenir un centre de référence pour la gestion de patrimoine en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest ?

Kh. K. : Oui, sans aucun doute. Le Maroc a un potentiel énorme. C’est un hub financier naturel entre l’Europe et l’Afrique. Casablanca Finance City a déjà posé des bases solides. Si le Maroc structure sa fiscalité, sa régulation et forme des experts, il peut attirer le patrimoine africain et devenir la place financière de référence pour la gestion privée. Pour réussir, il faut : •Moderniser le droit des sociétés familiales. •Organiser la succession d’entreprise familiale (transmission via le «Pacte Dutreil» comme en France). •Encourager la création de Family offices locaux pour éviter la fuite de capitaux vers la Suisse, Dubaï ou Paris. •Développer des investissements productifs : Private equity, infrastructures, énergies renouvelables, économie digitale. Le Maroc peut devenir une plateforme patrimoniale pour l’Afrique, mais il doit agir vite.

 

F. N. H. : Au-delà du cadre juridique, comment faire évoluer la culture patrimoniale au Maroc vers une approche plus professionnelle et à long terme ?

Kh. K. : Le véritable défi est culturel. Au Maroc, on confond encore patrimoine et immobilier. On pense que l’enrichissement passe uniquement par l’achat de terrains et de bâtiments. Or, élargir la culture patrimoniale est indispensable. Dans les pays occidentaux, on parle d’équilibre entre immobilier, placements financiers, retraite, transmission, fiscalité et prévoyance. Le Maroc gagnerait à : •Développer une classe moyenne solide, car elle est le moteur de la diversification patrimoniale. •Introduire réellement les SCPI (pierre-papier), un outil efficace pour investir dans l’immobilier avec seulement 5.000 ou 10.000 DH. Cela permettrait de démocratiser l’investissement immobilier et de préparer sa retraite sans être contraint d’acheter un appartement entier ni de gérer les loyers et les travaux d’entretien. •Encadrer et réguler enfin le marché immobilier pour attirer l’épargne productive. • Créer une éducation financière nationale dès le lycée et dans les médias. •Organiser un cadre de la retraite solide, basé sur la capitalisation, comme en Europe du Nord.

 

F. N. H. : Vous parlez de culture patrimoniale. Comment la faire évoluer au Maroc vers une approche plus professionnelle et à long terme ?

Kh. K. : Aujourd’hui, la logique dominante au Maroc est la logique de possession. On investit dans un terrain parce que «la pierre ne ment pas». Mais posséder ne suffit plus. Il faut apprendre à structurer, protéger, diversifier son patrimoine et surtout le préparer pour les générations futures. La première étape est pédagogique : il faut introduire l’éducation financière dans le conseil bancaire.

 

F. N. H. : Quelles seraient les premières étapes concrètes pour favoriser l’émergence de Family offices au Maroc ?

Kh. K. : Avant de créer des Family offices, il faut créer un environnement qui justifie leur existence. Trois étapes sont prioritaires : 1. Diversifier les placements. Le Maroc doit sortir de sa dépendance au foncier; cela suppose d’abord de réguler sérieusement le marché immobilier marocain. 2. Structurer la profession de conseil patrimonial. Sans experts qualifiés, aucun Family office crédible ne peut exister. Il faut instaurer des certifications exigeantes, un cadre déontologique et une supervision professionnelle comme en Europe. 3. Promouvoir la culture financière. La gestion patrimoniale n’est pas un luxe, c’est une discipline économique. Elle doit s’apprendre et se transmettre.

 

F. N. H. : Selon vous, quels sont aujourd’hui les secteurs les plus prometteurs pour attirer le capital des grandes familles marocaines ?

Kh. K. : Il est temps de réorienter l’épargne marocaine vers des secteurs productifs. Les priorités sont claires: l’immobilier structuré via la pierrepapier, les fonds d’investissement qui soutiennent les PME marocaines, les infrastructures durables, les énergies renouvelables, et bien sûr l’économie du savoir : santé, éducation, digital, l’IA. C’est par l’investissement intelligent que le Maroc construira sa souveraineté économique. Le Royaume se trouve à un tournant historique. Pendant longtemps, la construction du patrimoine a reposé sur une logique d’accumulation immobilière et de transmission familiale traditionnelle. Ce modèle a atteint ses limites. Pour soutenir son ambition économique et renforcer sa souveraineté financière, le pays doit désormais structurer une véritable industrie patrimoniale, moderne et efficace. Le développement d’une classe moyenne solide, la création d’outils d’investissement accessibles à tous comme la pierre-papier, la mise en place d’un cadre réglementaire sérieux et l’émergence de Family offices marocains ne sont pas des options, ce sont des nécessités stratégiques. Le Maroc a le talent, la stabilité et les ressources pour devenir un futur hub financier africain. Il ne manque qu’une chose : une vision économique à long terme fondée sur l’intelligence patrimoniale. Si le pays accélère sur ce chantier, il peut devenir non seulement un acteur économique majeur dans la région, mais aussi un modèle d’élévation financière par la structuration, la formation et la stratégie. 

 

 

 

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