Depuis plusieurs semaines, le marché de la volaille au Maroc connaît une flambée des prix qui met à rude épreuve le pouvoir d’achat des ménages et fragilise une filière stratégique pour la sécurité alimentaire nationale.
Par K. A.
Longtemps considéré comme le moyen de substitution abordable à la viande rouge et au poisson, le poulet devient aujourd’hui un produit difficile d’accès pour une grande partie de la population. Dans les principales villes comme Casablanca, Rabat ou Fès, le kilogramme de poulet de chair se négocie entre 25 et 27 dirhams, et le poulet prêt à cuire atteint jusqu’à 45 dirhams dans certaines boucheries.
Les œufs ne sont pas épargnés car leur prix dépasse 1,60 DH/ unité, parfois plus selon le calibre. Pour les familles marocaines, cette situation représente un poids supplémentaire dans le budget alimentaire. Cette flambée des prix s’inscrit dans un contexte de forte demande en été.
En effet, la saison estivale, période par excellence des mariages et des fêtes familiales, a engendré un surplus de consommation. Selon un grossiste du marché de la volaille de gros à Casablanca, «chaque année, les prix augmentent en cette période, mais cette fois, les niveaux sont sans précédent». Toutefois, la demande à elle seule ne suffit pas à expliquer l’ampleur de la hausse. Les coûts de production constituent un facteur déterminant.
Le maïs, le soja et le tournesol, qui composent environ 80% de l’alimentation des volailles, connaissent depuis un certain temps une tendance haussière sur les marchés internationaux. Conséquence directe pour les éleveurs : le prix de revient du kilo de poulet vif avoisine aujourd’hui 18 dirhams, un seuil rarement atteint, et qu’ils se voient obligés de répercuter sur les consommateurs. Les vagues de chaleur ont également aggravé la situation. La mortalité des poussins a été particulièrement élevée cet été.
Au-delà des facteurs conjoncturels, la filière souffre de problèmes structurels. Contrairement à d’autres pays où de grands groupes contrôlent l’amont et l’aval de la chaîne, le secteur marocain reste fragmenté et peu coordonné. Les petits et moyens producteurs, fragilisés par la pandémie et des cycles de pertes répétées, quittent le marché, incapables de couvrir leurs coûts. La spéculation et l’écart entre le prix à la ferme et celui de vente accentuent la volatilité, pénalisant producteurs et consommateurs.
Réformes urgentes
La hausse continue du prix de la volaille n’est pas seulement un problème économique, mais elle a pris aussi une dimension politique. Récemment, le député Mohamed Ouzzine, du Mouvement populaire, a interpellé le ministre de l’Agriculture, Ahmed El Bouari, sur la flambée persistante des prix du poulet. Il a rappelé que dans un contexte où la viande rouge et le poisson sont devenus inaccessibles pour une large frange de la population, la volaille demeure l’alternative principale.
Or, son renchérissement met en péril l’équilibre alimentaire des ménages. Le parlementaire a dénoncé la lenteur des réformes, qu’il s’agisse de la modernisation des abattoirs, du soutien aux producteurs ou de la régulation du marché. Il a également appelé à des mesures ciblées pour réduire le coût des intrants, diversifier les sources d’importation et mieux organiser la distribution afin de limiter la spéculation et rapprocher le prix à la ferme du prix au consommateur.
Les professionnels s’accordent à dire qu’une réorganisation de la filière est indispensable pour prévenir de futures flambées. Modernisation des infrastructures, regroupement et organisation des producteurs, encadrement des circuits de distribution et soutien aux petits et moyens éleveurs sont autant de chantiers urgents.
Faut-il le rappeler, la filière avicole représente plus de 600.000 tonnes de viandes blanches par an, dont 500.000 tonnes de poulet et 100.000 tonnes de dinde, ainsi qu’environ 5,5 milliards d’œufs. La stabilisation de cette filière est donc cruciale non seulement pour protéger le pouvoir d’achat des ménages, mais aussi pour garantir la sécurité alimentaire du pays.