Le ministère du Transport et de la Logistique, par le biais de l’Agence marocaine de développement de la logistique (AMDL), s’est engagé à déployer activement la stratégie nationale de développement de la compétitivité logistique, notamment à travers la mise en place de 750 ha de zones logistiques d’ici 2028. À ce jour, quel est l’état des lieux et comment ces zones assurent-elles la compétitivité économique du pays tant au niveau local qu’international ? Décryptage avec Elhoussaine Chellaoui, auteur, conférencier international et conseiller auprès de l'Académie africaine de consulting et de génie.
Propos recueillis par Désy M.
Finances News Hebdo : Quel regard portez-vous sur la mise en œuvre actuelle de la Stratégie nationale de développement de la compétitivité logistique ? Le Maroc est-il en phase avec ses objectifs à l’horizon 2028, notamment en matière de création de zones logistiques comme annoncé par le ministère du Transport et de la Logistique ?
Elhoussaine Chellaoui : Depuis sa naissance en 2011, l’Agence marocaine de développement de la logistique (AMDL) s’est imposée comme l’architecte attentif d’une stratégie nationale déterminée, consacrée à transformer profondément le paysage logistique du Royaume. Chargée de planifier, structurer et promouvoir cette dynamique, elle s’est donnée pour noble dessein de réduire les coûts logistiques, jadis pesant 20% du PIB, à un seuil plus soutenable de 15%. Une bonne prise de conscience de l’importance de la logistique a entraîné la création d’un partenariat public et privé, signée en 2010 devant S.M. le Roi Mohammed VI, entre l’AMDL, la CGEM et la Fédération du transport et de la logistique, pour élaborer une stratégie s’articulant autour de cinq axes, à savoir le développement des compétences (formation de 61.600 personnes dans 19 spécialités); des zones logistiques (70 zones dans 18 villes couvrant 3.300 ha); d’acteurs émergeant dans la logistique et performants; l’optimisation des chaînes logistiques pour améliorer la performance globale du secteur et la mise en place d’un cadre de gouvernance et régulation adaptée. L’AMDL et la CGEM ont créé l’Observatoire marocain de la compétitivité logistique pour le suivi de la performance du secteur, ce qui a permis de fournir des données statistiques pour évaluer l’avancement de la stratégie nationale de la compétitivité logistique. Les indicateurs ont permis de démontrer que certains objectifs ont été atteints, notamment en ce qui concerne la gouvernance, la normalisation, la formation la digitalisation et la création de zones logistiques. Malheureusement, d’autres n’ont pas été atteints à cause des contraintes budgétaires, des difficultés de mettre la main sur un foncier important et de l’existence de l’économie informelle dans le secteur du transport terrestre. Le coût logistique n’a cédé qu’un maigre point, témoignant d’un progrès timide. Le Maroc doit impérativement renforcer la coordination institutionnelle, ajuster sa stratégie aux réalités nouvelles, perfectionner ses infrastructures logistiques et rendre les zones dédiées plus accessibles, afin d’insuffler un nouvel élan à son développement.
F.N.H. : En quoi les zones logistiques contribuentelles concrètement à la compétitivité économique des entreprises marocaines et à la réduction des coûts logistiques, souvent jugés trop élevés ?
E. Ch : Il est important d’abord de comprendre ce qu’est une zone logistique pour comprendre son apport dans la compétitivité de l’économie des entreprises marocaines. Une zone logistique a pour mission de regrouper les acteurs logistiques, les transporteurs, les commissionnaires, les prestataires logistiques, les distributeurs…, afin d’optimiser les flux de marchandises, d’offrir des infrastructures et des services mutualisés, d’attirer les investissements, de renforcer la compétitivité des entreprises et d’améliorer la performance globale des chaînes d’approvisionnement. Les zones logistiques sont liées aux entreprises productrices pour faciliter l’acheminement des matières premières et des produits finis via les infrastructures de transport et de commerce international (port, aéroport, zones industrielles, zones franches…), et leurs stockages dans des magasins et entrepôts. Les zones logistiques sont aussi liées directement aux consommateurs finaux pour satisfaire les nouveaux modes de distribution et de consommation.
Il s’agit de l’ubérisation, caractérisée par une remise en question des modèles économiques traditionnelles utilisant des plateformes numériques pour mettre en relation producteurs, transporteurs et consommateurs à des rapport prix/qualité très intéressants. Les zones logistiques contribuent directement à la compétitivité économique des entreprises à travers la réduction des délais de livraison, la diminution des coûts, l’amélioration de la qualité des services, l’adaptation à la variation de la demande et des aléas des marchés, l’efficacité de l’entreposage et de la manutention et la modernisation des infrastructures. Elles favorisent un écosystème logistique performant, moderne et flexible contribuant à améliorer la performance globale des chaînes d’approvisionnement et à renforcer la compétitivité d’un territoire. Certaines zones logistiques au Maroc sont performantes et contribuent directement à la compétitivité des entreprises. Le pays dispose d’une position géographique privilégiée au détroit de Gibraltar, entre l’Afrique et l’Europe, au carrefour des routes maritimes. En conséquence, les entreprises implantées dans ces zones bénéficient d’une connectivité multimodale facilitant le transit des marchandises et réduisant le temps et le coût de transport. En plus, il y a une tendance à faire une offre de services logistiques intégrée avec des entrepôts massifiés plutôt que plusieurs autres petits sites, car cela réduit les coûts liés aux infrastructures (loyer, entretien), au personnel et aux équipements, réduisant ainsi le gaspillage.
F.N.H. : Dans quelle mesure les zones logistiques renforcent-elles l’attractivité du Maroc pour les investisseurs étrangers, notamment dans des secteurs comme l’automobile, l’agro-industrie ou le e-commerce ?
E. Ch : Nous savons bien que le Maroc a des ambitions industrielles très grandes qui supposent un savoir et savoir-faire très pointus dans des secteurs comme l’automobile, voire même l’industrie aéronautique ou navale. Cependant, il ne dispose pas encore pleinement de ces compétences. Les zones d’accélération industrielle, souvent couplées aux zones logistiques, ont permis la délocalisation d’investissements directs étrangers et du transfert de ce savoir-faire, permettant au Maroc de devenir un hub industriel en Afrique. Des zones comme Tanger Automotive City attirent des multinationales (Renault, Yazaki, Aptiv) grâce à des infrastructures modernes, des incitations fiscales et une main-d’œuvre qualifiée, favorisant ainsi les investissements directs étrangers dans ce secteur. La proximité des zones logistiques avec des plateformes industrielles intégrées, des procédures douanières très claires et accessibles ont permis la fluidité des flux logistiques, de faciliter la transformation, le stockage et l’exportation des produits agroalimentaires, améliorant la compétitivité du secteur à l’international et attirant de plus en plus d’investisseurs étrangers. En parallèle, des zones logistiques modernes, comme Med Hub (200 ha), dédiées à la distribution, au groupage et à l’approvisionnement international, ont facilité la gestion des flux et l’amélioration de la disposition rapide des produits sur le marché national et international. Les zones logistiques renforcent significativement l’attractivité du Maroc pour les investisseurs étrangers en offrant un environnement industriel et logistique performant, adapté aux besoins des secteurs stratégiques comme l’automobile, l’agro-industrie et le e-commerce. Elles constituent un levier essentiel pour la croissance économique, la création d’emplois et l’intégration du Maroc dans les chaînes de valeur mondiales.
F.N.H. : Quels sont, selon vous, les principaux défis à relever pour accélérer le déploiement des zones logistiques régionales ? Faut-il aujourd’hui revoir le modèle de gouvernance, de financement ou encore le cadre réglementaire ?
E. Ch : Malgré la volonté affichée par le Maroc pour dynamiser la compétitivité logistique, le déploiement de zones logistiques régionales se heurte à une série de défis majeurs. Le principal frein demeure la présence de l’économie informelle qui continue de peser sur le secteur et de bloquer l’intégrations de nouvelles infrastructures. Pourtant, des leviers d’accélération existent. Notamment la simplification des procédures administratives pour fluidifier et dynamiser la concrétisation des projets. L’allègement des démarches pourraient réduire les délais et motiver l’investissement. De plus, faciliter l’acquisition de terrains stratégiquement situés à proximité des grands axes à des prix raisonnables serait nécessaire pour booster les investissements dans les infrastructures. Ceci permettrait de relever les défis qui entravent non seulement la création et l’investissement dans les zones logistiques, mais également le développement des connexions et l’interconnexion, souvent nécessaires à leur développement et à leur attractivité.
L’idée de mettre en place une plateforme informatique centralisée, à l’image du guichet unique des opérations d’import-export, est perçue comme une piste prometteuse. Un tel outil permettrait d'améliorer significativement la coordination entre les différents acteurs impliqués, de dématérialiser les documents et d’éliminer le déplacement entre différentes administrations, palliant ainsi les retards et les inefficacités constatées jusqu'à présent. En somme, le hub logistique se présente tel un vaste organisme vivant, un écosystème où s’entrelacent avec finesse infrastructures, services et acteurs, tous réunis en un point stratégique. Cette symphonie orchestrée vise à fluidifier le cours incessant des marchandises, sous l’égide bienveillante d’un cadre réglementaire propice et d’une technologie toujours plus novatrice. La grandeur de ce système se mesure non seulement à l’art avec lequel il réduit les coûts et accélère les délais, mais aussi à la vigueur qu’il insuffle à la compétitivité des entreprises qui s’y appuient.