Grâce à la digitalisation, à un marché porteur et à des IPO très suivies, les particuliers prennent une place qu’ils n’avaient plus occupée depuis des années. Les chiffres du T2 2025 publiés par l’AMMC montrent un rééquilibrage net des forces en présence.
Par Y. Seddik
Le marché central reste un terrain d’institutionnels, mais plus comme auparavant. Les OPCVM dominent toujours les échanges avec un peu plus du tiers des transactions, mais la vraie rupture se situe désormais du côté des particuliers, qui captent près de 28% du volume.
Un pourcentage qu’on n’avait plus observé depuis 2017 et qui, surtout, dépasse pour la première fois depuis des années les flux générés par les institutionnels traditionnels. Cette montée est visible dans la dynamique des flux. Les OPCVM restent nettement acheteurs, avec des achats qui atteignent 11,4 milliards de dirhams pour 9,3 milliards de ventes, soit des volumes plus que doublés en un an.
Les particuliers marocains affichent, eux, des niveaux d’activité presque équilibrés entre 7,7 milliards d’achats et 8 milliards de ventes, avec des progressions annuelles exceptionnelles. Les personnes morales marocaines basculent davantage en position vendeuse, tandis que les investisseurs étrangers, beaucoup plus présents qu’à l’accoutumée, triplent leurs achats et renforcent aussi leurs ventes. Même les flux transitant par le réseau bancaire s’inscrivent en nette hausse sur un an, malgré un repli technique par rapport au premier trimestre.
Dans son ensemble, le marché central a connu une activité foisonnante. Le nombre d’ordres bondit de plus de 70%, les contrats suivent la même cadence et les volumes échangés dépassent désormais les 28 milliards de dirhams. Tous les indicateurs convergent : la Bourse n’avait pas été aussi animée depuis longtemps. Ce retournement ne relève pas du hasard. Il accompagne un mouvement plus profond, celui de la démocratisation du trading en ligne.
Pour la première fois, les canaux digitaux deviennent le passage naturel pour la majorité des particuliers. Dans certaines sociétés de Bourse, plus des deux tiers des ordres des investisseurs individuels transitent désormais par les plateformes électroniques, un changement de paradigme que peu d’acteurs anticipaient à ce rythme. Hicham Oudghiri, directeur front office de CDG Capital Bourse, observe un phénomène très net. Il nous expliquait il y a quelques mois qu’une vague de nouveaux investisseurs arrive, souvent des jeunes actifs, des cadres et des salariés, qui considèrent la Bourse comme un outil crédible de valorisation de leur épargne.
Leur comportement se distingue par une meilleure compréhension des cycles de marché, une capacité à arbitrer plus finement et une attitude sensiblement plus disciplinée face à la volatilité. La génération montante, sensibilisée à la culture financière et connectée en permanence, ne se contente plus de suivre, mais participe, analyse et prend ses décisions avec beaucoup plus de méthode.
2024, le véritable point d’inflexion
Si le T2-2025 marque une accélération, l’année 2024 a été le véritable moment charnière. Le nombre de comptes-titres détenus par des particuliers a franchi la barre des 200.000 pour atteindre plus de 215.000 en fin d’année. Ce seuil symbolique, jamais effleuré auparavant, illustre un regain d’intérêt sans équivalent pour la Bourse de Casablanca. De son côté, le nombre de clients actifs sur les plateformes digitales a doublé, tandis que les investisseurs actifs au sens large progressaient de 26%.
Le rôle des introductions en Bourse a été déterminant. L’IPO de CMGP Group a agi comme un catalyseur, avec une demande multipliée par 37 et une participation massive des particuliers. À cela s’ajoute un environnement boursier favorable, avec un Masi en hausse significative et des perspectives économiques renforcées par l’approche d’événements comme la CAN 2025 ou la Coupe du monde 2030.
La détente monétaire de Bank Al-Maghrib a par ailleurs contribué à redonner du souffle au marché actions, facilitant les arbitrages et les prises de positions. Ce qui surprend le plus les professionnels, c’est la maturité progressive des particuliers. Leurs arbitrages se concentrent désormais sur des thèmes sectoriels précis. L’immobilier, la santé ou encore le BTP ont monopolisé une large part de leurs transactions, révélant une lecture plus fine des cycles et des opportunités.
Au lieu de comportements impulsifs ou opportunistes, les sociétés de Bourse observent une montée en gamme des approches, où coexistent vision long terme, gestion active et arbitrages tactiques. En définitive, le retour massif des particuliers modifie l’équilibre des forces et redonne de la profondeur au marché. Pour la première fois depuis près d’une décennie, les profils d’investisseurs se rapprochent d’une forme d’équilibre, où institutionnels, corporate et particuliers contribuent chacun à la dynamique des échanges.