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Vieillissement - Précarité - Informel : l’Afrique face au mur des retraites

Vieillissement - Précarité - Informel : l’Afrique face au mur des retraites

Entre fracture de la couverture sociale, vieillissement accéléré et pression financière croissante, la 6ème Conférence annuelle de l’APSA marque un tournant stratégique pour repenser les systèmes de retraite africains à la lumière du modèle marocain. Développement.

 

Par Y. Seddik

C'est un sujet que beaucoup préfèrent éviter, mais qui revient aujourd’hui frapper à la porte de presque tous les États africains: que fera-t-on de nos retraités dans vingt ans, quand ils seront trois fois plus nombreux, mais toujours largement hors du radar des régimes contributifs ?

La question a traversé la sixième Conférence annuelle de l’APSA (Autorités africaines de supervision des retraites), qui s’est tenue la semaine dernière à Marrakech. Dans les rangs des régulateurs et superviseurs venus de quinze pays du continent, un même constat : le système actuel ne tiendra pas. Trop de dépendance au secteur public, trop peu de cotisants, une masse informelle écrasante et des régimes par répartition plombés par l’allongement de la vie. Et surtout, cette réalité brutale : sur le continent, 90% des actifs ne cotisent à rien du tout. L’Afrique n’a pas de crise des retraites. Elle a une absence de retraite. Au centre de cette conférence, le Maroc a été montré du doigt (dans le bon sens du terme).

Modèle ? Laboratoire ? Le pays, sous l’impulsion royale, a mis en chantier une extension progressive de la couverture sociale à cinq millions de travailleurs non affiliés, tout en s’attaquant à l’absurde fragmentation de ses régimes. La ministre des Finances, Nadia Fettah, l’a rappelé dans une intervention enregistrée : ici, on parle «d’architecture sociale» autant que de systèmes de retraite. Message reçu. Mais le Maroc est aussi un miroir.

Le président de l’ACAPS, Abderrahim Chaffai, l’a clairement expliqué : les projections ne sont pas bonnes. Le régime des pensions civiles épuisera ses réserves d’ici 2031. Celui de la CNSS, en 2037. Le RCAR, autour de 2050. Même avec les hausses salariales du public, les trous ne disparaissent pas. On gagne du temps, pas des équilibres.

D’où cette lucidité affichée dans les débats : il faut hybrider. Injecter du non-contributif. Créer des systèmes mobiles, adaptables, incitatifs et réalistes. La conférence a ouvert des pistes sur les micro-pensions, les instruments d’inclusion financière ciblant l’informel, la fiscalité incitative, et des modèles d’investissement à long terme adaptés aux contraintes du Sud. Tout cela, non pas pour «copier» les modèles du Nord, mais pour faire émerger un cadre africain crédible.

 

La démographie comme minute de vérité

Ce qui pèse désormais sur tous les agendas, c’est la démographie. «L’Afrique reste le continent le plus jeune du monde… mais pour combien de temps encore?», interroge un régulateur ouest-africain en marge des travaux.

Les chiffres cités par l’APSA donnent le vertige : plus de 215 millions d’Africains auront plus de 60 ans en 2050. Et ils seront, pour la plupart, sans couverture, sans pension, dépendants de leurs enfants ou de rien. La tendance est connue, mais elle reste sous-estimée dans les politiques publiques. Et pour cause : il n’y a pas de solution unique.

Dans certains pays, c’est l’État qui paie encore 80% des retraites. Ailleurs, les fonds de pension ont été dévitalisés. Sur tout le continent, le problème du financement reste entier : comment assurer une redistribution intergénérationnelle quand la base contributive est aussi étroite? Malgré la diversité des situations, un point d’accord s’est dégagé: la supervision doit changer de paradigme. Passer d’une logique administrative à une logique de risque.

Intégrer les critères ESG dans l’allocation des actifs, non par mode, mais par nécessité. Utiliser les quelque 2.400 milliards de dollars d’actifs institutionnels africains (encore largement dormants) comme levier d’impact social et climatique.

«Les retraites ne doivent plus être vues comme un coût, mais comme un instrument de développement», martèle Zareena Camroodien, présidente de l’APSA. Encore faut-il que les États cessent de piloter à vue. Que la régulation se modernise. Que l’informel ne soit plus une excuse. Et surtout, que la solidarité ne soit pas une variable d’ajustement. À Marrakech, une idée a fait consensus : l’heure n’est plus aux réformes paramétriques. C’est une refondation qu’il faut. 

 

 

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