Marocains du monde: quelle gouvernance institutionnelle ?

Marocains du monde: quelle gouvernance institutionnelle ?

Un grand rendez-vous international s'est tenu la semaine dernière à Rabat, à l'Université Mohammed V, et ce du 7 au 10 septembre. Il a réuni, autour du thème «The Migration Conference 2022 Programme», le rassemblement scientifique le plus important sur les questions migratoires. Il a associé des académiciens, des chercheurs, des représentants de médias et de la société civile. La thématique : une réflexion profonde sur cette problématique au cœur de débats politiques, sociaux et sociétaux dans de nombreuses latitudes régionales et autres. Le Maroc est, on le sait, au premier plan de ce débat.

En interne, tout d'abord avec les mesures royales prises en 2014- 2015 qui ont conduit à la régularisation de plus de 53.000 migrants étrangers. A l'international aussi, SM le Roi s'est ainsi vu confier le statut de leader de la migration africaine en février 2017 - quelques semaines à peine après le retour du Maroc au sein de l'UA. Il faut y ajouter le siège dans la capitale du Royaume de l'Observatoire africain des migrations qui a été inauguré en décembre dernier. Cela dit, il vaut de noter que les politiques publiques en la matière n'ont pas réellement enregistré de grandes avancées. Les gouvernements de différentes sensibilités se sont bien succédé depuis une quinzaine d'années.

Mais ont-elles porté les fruits qui en étaient attendus ? C'est précisément sur la base de ce constat que le Souverain, dans son discours du 20 août dernier, a fortement interpellé le gouvernement à ce sujet en appelant à la prise en main conséquente de ce dossier national. Le chef de l'exécutif, Aziz Akhannouch, s'est ensuite empressé, le 30 août, de réunir la commission interministérielle dédiée, créée par un décret du 30 septembre 2013 - mais publié seulement le 23 février 2015. Elle comprend vingt membres, dix ministres et dix autres de diverses instances et institutions.

 

Multiplicité des intervenants

Force est de faire ce constat : il se pose un gros problème de gouvernance migratoire. La mobilisation ne doit pas se faire seulement pendant deux mois, à l'occasion de l'opération estivale Marhaba. Elle doit en effet être continue et se fonder sur une feuille de route inscrite dans une stratégie et une vision. Cela commande, comme prérequis pourrait-on dire, que l'on appréhende les multiples aspects de la communauté des Marocains du monde (MDM) et que l'on puisse, sur cette base-là, élaborer et mettre en œuvre des mesures concrètes participant d'une approche à long terme. Il y a bien une stratégie nationale en matière d'immigration et d'asile (SNIA) qui a été définie voici plusieurs années, après le discours du Trône du 30 juillet 2015. Mais sept ans après, comment ne pas relever les fortes insuffisances de son bilan. A-t-elle été globale ? Cohérente ? Intégrée ? Et inclusive ? La difficulté qui perdure toujours ? Celle de la multiplicité des intervenants publics dans la gestion et la mise en œuvre de la politique migratoire nationale. Celle-ci est rattachée au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération africaine, élargi aux «Marocains résidant à l'étranger» (direction de la Coopération, des Etudes et de la Coordination intersectorielle). Il faut relever au passage les multiples variations de la question des MRE depuis une bonne vingtaine d'années, avec un statut institutionnel à géométrie variable - secrétariat d'Etat ou ministère délégué, suppression, puis rattachement au département des Affaires étrangères. Il faut aussi mentionner dans ce même département la direction des Affaires européennes qui a à connaître de ce dossier avec les pays d'accueil de l'UE et autres. Autres instances à noter : le Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME) créé le 21 décembre 2007; et le haut-commissariat au Plan (HCP) aujourd'hui en voie de restructuration. Il faut y ajouter la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l'étranger, créée voici plus d'une vingtaine d'années (loi N° 19-89). Cette institution s'est dotée en avril 2002 d'un Observatoire de la communauté marocaine résidant

à l'étranger (OCMRE), et ce avec l'appui de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). En creux, cette multiplicité d'acteurs ne doit pas évacuer un autre fait : la marginalisation d'autres organismes intéressés à un titre ou à un autre par la migration nationale. Tel est le cas du département de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique ou encore du Centre national pour la recherche scientifique (CNRST) qui ne sont pas associés. Une convention de coopération a bien été signée en 2016 entre le département précité et celui chargé alors des MRE. Quel est son bilan d'activités ? Dans cette même ligne, il faut citer un mémorandum d’entente entre le gouvernement et l'Université Mohammed V aux fins de soutien et de promotion de la recherche scientifique avec un volet relatif à la question migratoire. Là encore, quelle production ? Autre situation : celle d'organismes tel l'Institut national de la recherche scientifique (IURS) qui n'a pas été associé à cette réflexion nationale. Pour ce qui est de l’Institut royal d'études stratégiques (IRES), il a bien élaboré une étude approfondie en 2012-2014 sur une stratégie nationale en faveur des MRE à l'horizon 2022, puis redéclinée à l'horizon 2030, et ce avec la participation du ministère chargé des MRE, du CCME et de la Fondation Hassan II. Mais elle n'a pas été finalisée comme prévu au départ dans la note de cadrage par une implémentation opératoire. Il était proposé en effet un montage institutionnel et technique de pilotage prospectif global, en l'occurrence un Observatoire de la communauté marocaine à l'étranger.

 

Des mesures et des réformes

Une meilleure gouvernance migratoire ne peut faire l'économie d'un tel dispositif. Dans le continent, il a été décidé lors du sommet de l'UA tenu à Addis-Abeba (10-11 février 2019) la création d'un Observatoire africain des migrations. Ses missions ? Une meilleure appréhension du phénomène migratoire, l'accompagnement des politiques migratoires nationales, l'efficience de la gouvernance des migrations, le partage des bonnes pratiques institutionnelles et législatives, et enfin une convergence autour d'une stratégie plus efficiente et plus inclusive. Mettre sur pied au Maroc un Observatoire participerait de cette approche continentale. Le Maroc s'est distingué dans ce domaine par les initiatives royales consacrées dans l'Agenda africain sur la migration : une «approche pangouvernementale et pan-sociétale» associant l'ensemble des acteurs publics, privés et associatifs. Un dossier devant être, lui aussi, priorisé dans l'agenda du gouvernement dès les prochains mois. Le discours convenu de l'exécutif dirigé par Aziz Akhannouch - durant la campagne électorale 2021, puis depuis un an - ne peut plus faire illusion : il doit se traduire par des actes

 

Par Mustapha SEHIMI

Professeur de droit, Politologue

 

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