Après plusieurs années de sécheresse sévère qui ont pesé lourdement sur l’agriculture et freiné la croissance économique, les pluies qui arrosent actuellement le Maroc sont, à bien des égards, une bonne nouvelle. Elles reconstituent les réserves hydriques, redonnent de l’oxygène au monde rural et nourrissent l’espoir d’une campagne agricole plus favorable, susceptible d’avoir un effet d’entraînement positif sur l’activité économique nationale. Mais cette bénédiction tant attendue a aussi un revers sombre.
A Safi, ces mêmes pluies ont tourné au drame. En effet, comme Fès quelques jours plus tôt, la ville est endeuillée. Trentesept morts, des dizaines de blessés et des quartiers noyés sous des torrents tombés en seulement une heure. Aujourd’hui, il faut admettre que le Maroc n’affronte plus des épisodes météorologiques exceptionnels, mais entre plutôt dans une ère où l’exception tend à devenir la règle.
En effet, ce qui est arrivé à Safi n’est pas un phénomène isolé. Il s’inscrit dans une chaîne de drames qui dépasse largement les frontières nationales. Que ce soit en Europe, en Afrique de l’Est ou encore en Asie, les pluies diluviennes, les crues soudaines et les vagues de chaleur meurtrières se multiplient. Les vagues de chaleur en Europe ont tué des dizaines de milliers de personnes ces dernières années. L’année dernière, les inondations en Espagne ont fait près de 240 morts. Les climatologues ne parlent plus au conditionnel.
Le réchauffement global, déjà supérieur à 1,3°C, charge l’atmosphère en humidité et transforme cette énergie en précipitations violentes. Le dérèglement climatique est bel et bien en marche. La véritable question n’est donc pas de savoir si ces événements vont se reproduire, mais quand et avec quelles conséquences. Pour autant, les pluies, à elles seules, ne tuent pas. Ce sont plutôt les vulnérabilités accumulées qui transforment un aléa climatique en tragédie humaine, notamment les quartiers exposés, les habitats fragiles, les réseaux d’évacuation insuffisants ou encore l’urbanisation parfois mal anticipée.
Les scientifiques ne disent pas autre chose. Selon eux, il n’existe pas de catastrophe naturelle pure, mais des sociétés plus ou moins préparées à encaisser le choc. «Nous savons qu'il n'y a pas de catastrophe naturelle. C'est la vulnérabilité et l'exposition de la population qui transforment les risques météorologiques en catastrophes humanitaires», souligne une analyse des incidents météorologiques du World Weather Attribution (WWA).
Le parallèle avec Fès est éclairant. Là-bas, ce ne sont pas les eaux qui ont tué 22 personnes, mais l’effondrement de deux bâtiments. A l’heure actuelle, le Maroc pleure donc ses victimes : 59 morts en quelques jours d’intervalle. Il est néanmoins important de tirer les leçons de ces deux drames. L’un rappelle que l’acte de bâtir ne peut plus tolérer ni approximation ni complaisance. L’autre montre que dans un pays désormais exposé à des chocs climatiques plus fréquents et plus violents, l’anticipation des risques n’est plus une option, mais un impératif de protection civile.
F.Z Ouriaghli