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L’école inclusive au Maroc: entre promesse et urgence

L’école inclusive au Maroc: entre promesse et urgence

Après avoir affirmé l’impératif d’une société inclusive dans son esprit et ses structures, il est urgent d’interroger l’un de ses premiers terrains d’expérimentation : l’école. Car c’est là, dans les classes et les cours d’école, que se joue le devenir inclusif de notre pays.

Il est là, devant la porte. Il hésite. À l’intérieur, les autres enfants s’installent, échangent des regards, s’apprêtent à apprendre, à grandir. Mais lui reste immobile, comme figé devant une frontière invisible que personne ne semble voir. Une frontière qui le sépare d’un droit pourtant fondamental : celui d’apprendre, d’être pleinement accueilli dans une école qui le reconnaît, qui s’adapte à lui, au lieu de l’ignorer ou de l’éloigner.

L’inclusion scolaire n’est pas une faveur, encore moins une simple réforme pédagogique. C’est une vision éthique, un choix politique et sociétal fort, une responsabilité collective et durable. C’est un engagement qui ne peut demeurer à l’état de discours, de slogans ou de vœux pieux. Car une société qui marginalise une partie de ses enfants compromet son propre avenir, s'exposant à des fractures profondes et durables.
Le Maroc l’a compris - ou du moins l’a proclamé - en lançant en 2019 un programme national pour une éducation inclusive. Une annonce qui laissait espérer un changement majeur. Pourtant, sur le terrain, l’école inclusive reste largement théorique. Aucune structure véritablement inclusive n’a encore vu le jour, les enseignants ne disposent pas des formations nécessaires, les moyens manquent, et surtout, il n’existe toujours pas de loi claire, contraignante et appliquée, capable de transformer cette vision en réalité incontournable.
Dans cette impasse, des milliers d’enfants restent en marge. Ceux dont le handicap est visible - souvent moteur - bénéficient d’une attention partielle. Mais qu’en est-il des élèves présentant des troubles invisibles ? L’autisme, la dyslexie, la dyspraxie, les troubles cognitifs ou comportementaux, qui façonnent leur manière d’apprendre et d’interagir avec le monde, sont trop souvent absents des réflexions éducatives. Ne pas les voir, c’est nier leur existence et les priver d’un avenir.

Le Maroc n’est pas le seul à relever ce défi. La France a développé les ULIS , unités dédiées à l’inclusion scolaire, avec un cadre structuré et des accompagnants spécialisés. Le Canada a inscrit dans sa législation le droit pour chaque élève d’avoir un parcours adapté à ses besoins, une inclusion fondée sur la formation approfondie et continue des enseignants. La Belgique, l’Espagne, l’Italie ont, chacune à leur manière, mis en place des dispositifs hybrides, mêlant écoles spécialisées et intégration progressive dans le système général.
Mais ces modèles ne sauraient être calqués sur le Maroc. Ils doivent être repensés, contextualisés, adaptés aux réalités marocaines, aux ressources disponibles, aux défis propres à notre système éducatif. Car une inclusion imposée sans préparation devient une exclusion déguisée.
Encore faut-il que cette loi s’appuie sur des mécanismes clairs, accessibles et équitables. La reconnaissance administrative du handicap, souvent nécessaire pour bénéficier d’un accompagnement adapté, demeure un chemin complexe, inégal, parfois opaque. Identifier les structures compétentes – centres de diagnostic, délégations médicales, commissions pédagogiques – et en garantir l’accessibilité à toutes les familles, sur tout le territoire, est une étape indispensable. Car sans cette reconnaissance formelle, l’accès aux aides pédagogiques, aux aménagements scolaires ou aux accompagnants reste souvent un droit théorique, non effectif. Parmi les actions prioritaires : alléger les démarches, renforcer la coordination entre les ministères de l’Éducation, de la Santé et de la Solidarité, et appuyer davantage les associations de terrain, qui jouent un rôle essentiel d’orientation, d’écoute et de médiation.

Rien ne peut être fait sans un socle législatif solide. Sans loi, il ne peut y avoir d’avancée durable. L’inclusion scolaire doit être garantie par des textes clairs, définissant les droits des élèves en situation de handicap, les obligations des établissements, les formations exigées pour les enseignants, les moyens à mobiliser. Mais même une loi ne suffit pas. Les expériences internationales montrent qu’il faut de la volonté, du temps et de la cohérence pour que les réformes prennent racine. En France, la loi de 2005 sur le handicap a été un tournant, mais il a fallu plus d’une décennie pour voir émerger des structures adaptées.

Alors, le Maroc devra avancer pas à pas, avec des écoles pilotes, des formations spécialisées, des dispositifs souples qui évoluent avec le temps. L’inclusion ne peut se résumer à un effet d’annonce; elle exige une refonte structurelle, patiente, inscrite dans le temps.
Accueillir les enfants dans toute leur diversité ne transforme pas seulement l’école : cela élève la société toute entière. Car une école inclusive éduque non seulement les élèves concernés, mais aussi leurs camarades, qui apprennent à regarder autrement, à vivre la différence non comme un obstacle mais comme une richesse.

Si le Maroc veut honorer cette promesse, il doit franchir le seuil de l’intention et entrer dans l’action. L’éducation ne peut être un privilège réservé aux plus valides. Elle doit devenir un droit effectif, inconditionnel, garanti pour chaque enfant, quelles que soient ses différences.

Alors, sommes-nous prêts à ouvrir enfin les portes, toutes les portes, pour que l’école devienne ce lieu universel où chaque enfant a sa juste place ?

 

Par Abdelkhalek Hassini, enseignant-formateur en France, chroniqueur, conférencier, spécialiste en migration et développement et acteur associatif.

 

 

 

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