Family Offices : le Maroc à la croisée d’une révolution patrimoniale

Family Offices : le Maroc à la croisée d’une révolution patrimoniale

Selon une note récente de l’AMIC, l'émergence des Family Offices au Maroc pourrait devenir un levier stratégique pour attirer du capital patient et renforcer la souveraineté financière du pays.

 

Par Y. Seddik

Au Maroc, le patrimoine reste trop souvent synonyme de murs, de terrains et d’or. Une vision sécuritaire, héritée d’une culture de possession plus que de gestion. Pour Khalid Kabbadj, expert international en gestion de patrimoine, «posséder ne suffit plus». Le pays doit désormais apprendre à structurer, protéger et transmettre la richesse pour bâtir une véritable industrie patrimoniale nationale.

Cette mutation culturelle et financière pourrait placer le Maroc dans la trajectoire d’une tendance mondiale : celle des Family offices, ces structures privées qui gèrent le patrimoine des grandes familles sur le long terme et investissent dans des secteurs stratégiques. À l’échelle internationale, le mouvement est déjà bien enclenché.

Selon le rapport Family Office Investment Insights 2025 de Goldman Sachs, cité dans la note stratégique de l’AMIC (Association marocaine des investisseurs en capital), les Family offices sont devenus des acteurs majeurs de l’investissement privé mondial. Ils se distinguent par une approche de capital patient, un horizon de long terme et une flexibilité leur permettant de financer aussi bien des startups technologiques que des projets d’infrastructure. Concrètement, cette tendance se traduit par une réallocation significative des portefeuilles.

Désormais, près de la moitié des actifs est dirigée vers des investissements alternatifs, qu’il s’agisse de private equity, de crédit privé ou d’infrastructures. Parallèlement, l’intelligence artificielle s’impose comme un champ d’investissement prioritaire : plus de 80% des Family offices y participent déjà, souvent à travers le venture capital. Enfin, les stratégies ESG et à impact gagnent du terrain, tout comme les placements plus récents dans le sport, les médias ou encore les actifs digitaux, signes d’une diversification assumée et d’un rapport nouveau à l’innovation et au risque.

Un écosystème encore embryonnaire au Maroc

Sur le plan national, la structuration formelle des Family offices reste encore limitée. Néanmoins, plusieurs signaux montrent une évolution en marche. La note de l’AMIC, publiée en octobre 2025, souligne que Casablanca Finance City (CFC) offre déjà un cadre attractif pour héberger des structures régionales. Par ailleurs, les réformes du droit des sociétés et de la régulation financière ouvrent la voie à des modèles plus sophistiqués.

Dans le même temps, l’internationalisation croissante des conglomérats marocains (dans l’industrie, la finance ou l’énergie) crée une base propice à la professionnalisation de la gestion patrimoniale. Mais pour K. Kabbadj, la priorité reste la création d’un environnement favorable : «Avant de créer des Family offices, il faut créer un environnement qui justifie leur existence».

Dès lors, plusieurs chantiers s’imposent. D’abord, diversifier les placements au-delà du foncier et réguler sérieusement le marché immobilier. Ensuite, structurer la profession de conseil patrimonial avec des certifications reconnues et un cadre déontologique solide. Enfin, promouvoir la culture financière dès le lycée et dans les médias, afin d’ancrer la discipline patrimoniale dans la société.

Dans cette logique, les Family offices marocains naissants ont tout intérêt à s’aligner sur les tendances globales. Les domaines à fort potentiel identifiés par l’AMIC sont les énergies renouvelables, la santé, l’agro-industrie et la transformation digitale. Ces secteurs combinent rendement et impact durable, et pourraient devenir les terrains privilégiés d’un capital patient marocain.

Pour notre expert, il s’agit d’un véritable enjeu de souveraineté : «Réorienter l’épargne marocaine vers des secteurs productifs, c’est construire une autonomie financière et réduire la dépendance au capital étranger». En d’autres termes, l’avenir du capital marocain dépendra de sa capacité à s’investir dans le long terme et à soutenir des projets à haute valeur ajoutée pour l’économie nationale.

Une opportunité stratégique pour l’Afrique

De plus, avec sa stabilité politique, son expertise financière et la plateforme de Casablanca Finance City, le Maroc dispose déjà d’atouts solides pour devenir un hub régional de la gestion patrimoniale. S’il parvient à moderniser son cadre fiscal et à former une nouvelle génération de conseillers patrimoniaux, le Royaume pourrait attirer le patrimoine africain aujourd’hui géré à Dubaï, Genève ou Paris.

Comme le résume Kabbadj, «le Maroc a tout pour devenir une place de référence africaine. Il lui manque juste une vision économique à long terme fondée sur l’intelligence patrimoniale». Ainsi, le développement d’une véritable industrie patrimoniale ne serait pas seulement un levier financier, mais aussi un acte de souveraineté économique et de positionnement régional. Pendant des décennies, les grandes fortunes marocaines ont bâti des murs. Aujourd’hui, l’heure est venue de bâtir des structures. C’est à ce prix que le Maroc passera d’une économie d’accumulation à une économie de transmission et, donc, d’ambition. 

 

 

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