La conjoncture actuelle contraint chaque région du monde à redéfinir sa stratégie de croissance économique. L’Afrique n’est pas en reste et veut une croissance repensée, inclusive, stable et durable malgré les défis encore présents.
Par Désy M.
C'est dans un climat mondial de plus en plus fragmenté, où les certitudes d’hier s’effritent au gré des tensions commerciales et des ruptures géopolitiques, que l’institut Amadeus a décidé d’organiser à Rabat la Global Growth Conference.
Cet événement, tenu les 20 et 21 mai courant sous le thème «Financer la croissance, façonner la transition énergétique», était une plateforme de réflexion stratégique réunissant plus de 600 participants issus de 50 pays autour d’un objectif : identifier des leviers économiques efficaces et immédiatement exploitables.
«La montée du protectionnisme et la recomposition accélérée des alliances économiques imposent une adaptation rapide et pragmatique des stratégies nationales. Ce contexte global nous interpelle : il nous commande, alors que nous vivons une période de bouleversements sans précédent, de penser différemment et d’agir collectivement», a affirmé Brahim Fassi Fihri, président de l’Institut Amadeus, à l’ouverture de la conférence.
En effet, les économies émergentes doivent à présent composer à la fois avec les contraintes d’un système commercial international bouleversé et la nécessité urgente de financer des modèles économiques alignés sur les objectifs climatiques mondiaux. Dans cette perspective, l’Afrique n’est pas qu’un continent en quête de développement : elle devient une partie décisive de la solution. Forte d’un potentiel énergétique renouvelable colossal, de ressources naturelles stratégiques et d’une jeunesse entreprenante, elle peut jouer un rôle central dans la transition énergétique mondiale.
«L’Afrique n’est pas une périphérie du système mondial. Elle est désormais un acteur stratégique qui doit transformer les crises globales en opportunités», a souligné Fassi Fihri. Mais pour que cette ambition prenne corps, il faut lever les goulots d’étranglement qui entravent son plein épanouissement économique, et ces freins sont connus. Notamment le déficit des infrastructures qui est estimé entre 68 et 108 milliards de dollars par an. Le cadre institutionnel fragile, une formation inadaptée et une dualité entre secteurs formel et informel. «Nous devons repenser notre économie à partir de nos propres réalités. Cela implique d’intégrer l’informel, d’industrialiser nos territoires, de moderniser notre agriculture et de développer une intelligence artificielle pensée pour l’Afrique», a plaidé Aminata Touré, haute représentante du président de la République du Sénégal.
L’Afrique ne peut plus se contenter d’être un simple fournisseur de matières premières. «Il faut repositionner l’industrie africaine dans les chaînes de valeur mondiales», a insisté Fassi Fihri. Pour ce faire, quelques axes stratégiques ont été proposés durant les travaux, à savoir une industrialisation inclusive; des investissements massifs dans les infrastructures en se tournant vers des instruments financiers innovants tels que les obligations vertes, les partenariats public-privé (PPP), les fonds souverains et les mécanismes de garantie publique; la transition énergétique, avec un accent particulier sur les énergies renouvelables et l’hydrogène vert; la promotion de l’emploi; la transformation numérique; la valorisation des grands événements sportifs comme leviers de développement, etc.
À cet égard, le Maroc fait figure de référence pour le continent. Et ce, grâce à une politique proactive et intégrée, illustrée notamment par de grands projets énergétiques et des investissements importants sur des filières stratégiques (automobile, aéronautique, infrastructures, finance), tout en engageant des réformes profondes dans les domaines sociaux et institutionnels. «Ce que propose le Maroc, c’est un modèle qui allie le financement de la croissance et celui de l’État social. Une croissance durable dépend d’une paix sociale durable», a rappelé Younes Sekkouri, ministre de l’Emploi et de l’Inclusion économique.
Il a souligné l’effort budgétaire historique engagé par le Royaume, avec plus de 100 milliards de dirhams mobilisés pour généraliser la protection sociale, appuyer le dialogue social et élargir les aides directes. Il est évident que la réussite de la transition de l’Afrique ne peut être cantonnée à une poignée d’exemples. Elle doit devenir un horizon partagé. Cela suppose «d’ériger des cadres réglementaires clairs et prévisibles, d’implanter une gouvernance rigoureuse, et d’assurer une stabilité politique qui rassure investisseurs comme populations. Car la finance ne suffit pas : il faut du sens, des garde-fous, et une vision stratégique qui transcende les cycles électoraux», a conclu Aminata Touré. C’est tout l’enjeu de la «Feuille de route de Rabat pour le financement de la croissance et de la transition énergétique», qui a été élaborée à l’issue de ces deux jours d’échanges. Un document opérationnel appelé à incarner, au-delà des discours, une vision collective pour le futur, dans une logique selon laquelle «l'Afrique doit faire confiance à l'Afrique».