Règles de la concurrence : les régulateurs africains sommés d'agir

Règles de la concurrence : les régulateurs africains sommés d'agir

 

Les pays du continent ont fait le choix de la libéralisation et de l’économie de marché dont les dividendes sont peu perceptibles.

Le non-respect des règles de la concurrence engendre de lourdes conséquences sociales.

 

 

L’efficience d’une économie de marché où la concurrence entre les agents économiques est garantie par des autorités de régulation fortes et une législation tenant compte des réalités économiques actuelles n’est plus à démontrer.

Même s’il est difficile d’avoir une concurrence pure et parfaite sur un marché bien déterminé, l’application effective du droit de la concurrence permet de réduire au mieux les pratiques anticoncurrentielles (constitution d’oligopole, abus de position dominante, concentration, etc.), tout en contribuant à la baisse des prix, donc au renforcement du pourvoir d’achat des consommateurs et à la réduction de la pauvreté.

Le sujet de la concurrence est d’autant plus crucial pour le continent africain si l’on garde à l’esprit qu’en dépit de l’augmentation de la classe moyenne (350 millions de personnes en 2017), plus de 500 millions d’Africains vivent encore sous le seuil de pauvreté (moins de 2 dollars par jour). La prévalence des pratiques «distorsives» bride la création de richesse et la croissance à l’échelle continentale.

C’est dans ce contexte que la ville de Marrakech, où l’Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a été signée en 1994, a abrité le Forum africain de la concurrence, plus connu sous l’acronyme anglais (AFC). C’est la première fois qu’un pays francophone organise l’événement biannuel. Il faut dire que le Maroc dispose d’une expertise juridique en matière de lutte et pratique anticoncurrentielle. Dans la réalité, cette expertise ne s’est pas encore concrétisée puisque le Conseil de la Concurrence est, comme chacun le sait, toujours en stand-by faute de nomination de ses membres (voir encadré).

 

Comment combler le retard ?

La conférence de l’AFC était à la fois une plateforme de partage d’expériences pour les autorités de la concurrence du continent et un moment de vérité, dans le sens où les participants se sont livrés au diagnostic de la situation réelle à l’échelle africaine. «Nous avons en Afrique des autorités de concurrence relativement jeunes face à de grandes entreprises multinationales très anciennes», constate Abdelali Benamour, président du Conseil de la concurrence, qui rappelle dans le même temps que la tendance générale est à l’économie de marché et à la libéralisation qui a pour corollaire la garantie du droit de la concurrence.

Ceci dit, le respect de la concurrence sur le continent se heurte à des blocages sociologiques (mauvaise perception), à la structuration du marché composé d’oligopoles forts et de PME dont la plupart opèrent dans l’informel. De plus, il est à noter que certains pays africains ne disposent pas d’arsenal juridique en matière de concurrence.

Pour d’autres, les textes existent mais l’autorité de régulation ne dispose pas d’un pouvoir suffisamment fort pour les faire respecter. En conséquence, ces situations sont pour le moins inconfortables pour les investisseurs très regardants sur l’environnement des affaires.

Du côté de l’AFC présidée par le Sud-Africain Hardin Ratshisusu, l’on plaide pour le renforcement des capacités des autorités de concurrence des pays africains, la coopération et le partage d’informations. D’ailleurs, l’entité africaine qui fédère les autorités de concurrence dont le Maroc, a organisé des ateliers de formation au profit de 140 cadres. De plus, l’AFC est en train de mener des enquêtes sur des secteurs-clefs du continent (Ciment, BTP, engrais, gaz, pétrole, télécoms). L’objectif étant de mettre à jour les pratiques anticoncurrentielles.

 

La Zleca en toile de fond

«Les pays africains doivent être en mesure de faire face aux pratiques anticoncurrentielles des cartels. D’où l’intérêt de miser sur la coopération transfrontalière», recommande le président de l’AFC. Cette coopération est d’autant plus cruciale dans la perspective de l’implémentation de l’accord de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca) dont le Maroc est signataire.

Pour rappel, l’objectif de la Zleca, qui s’étendra sur un marché de 1,2 milliard de personnes, représentant un produit intérieur brut (PIB) de 2.500 milliards de dollars pour l’ensemble des 55 États membres de l’Union africaine, est de créer une zone de libre-échange commerciale africaine, où 90% des échanges de biens seraient exonérés des droits de douane.

Tout l’enjeu sera de garantir le respect des règles du jeu de la concurrence au sein de ce futur espace attractif, qui abritera à coup sûr davantage d’opérateurs transfrontaliers.

A en croire Seydou Sacko de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), un travail d’harmonisation des règles de la concurrence est d’ores et déjà nécessaire, notamment entre la CEDEAO et l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), qui ont respectivement instauré un dispositif juridique en la matière. Dans le même temps, l’expert de la CEDEAO alerte sur les risques inhérents au non-respect des règles de la concurrence. «Le non-respect des règles du jeu de la concurrence peut avoir pour conséquence de pousser les PME exerçant dans la sphère formelle à basculer vers l’informel très important sur le continent», alerte-t-il. ■

 


Qu’en est-il de l’hibernation du Conseil  de la concurrence ?

La manifestation de Marrakech était également l’occasion d’interroger les responsables du Conseil de la concurrence sur l’état végétatif de cette instance. Laquelle, au cours des mois passés, aurait été d’une grande utilité pour le pays, notamment en raison des mouvements de boycott liés, entre autres, de façon générale, à la cherté de la vie et en particulier aux prix d’un certain nombre de produits. Pour rappel, l’entité présidée par Benamour est en hibernation depuis 2014, après le vote de la loi n° 20-13 relative au Conseil de la concurrence. Aussi paradoxal soit-il, l’avènement de ce texte, qui renforce considérablement les pouvoirs de l’autorité de régulation, a coïncidé avec la mort clinique de celle-ci, puisque privée de membres qui doivent être nommés. Interrogé par nos soins, un cadre du Conseil qui souhaite garder l’anonymat confie : «Cette situation est regrettable d’autant plus que nous continuons à mener notre travail. Nous avons près d’une trentaine de rapports qui étudient les pratiques dans plusieurs branches d’activité de notre pays», s’offusque-t-il.

A la question de savoir si l’organisation du FAC à Marrakech augure pour le Conseil de la concurrence un fonctionnement normal, donc la nomination de ses membres, notre interlocuteur affirme que pour l’heure rien n’est moins sûr. Celui-ci ne manque pas de rappeler que plusieurs entités contribuant à l’amélioration de la gouvernance ou à la régulation de secteurs spécifiques sont dans une situation pour le moins atypique en raison soit du non renouvellement ou de l’absence de nomination de leurs membres à l’instar du Conseil de la concurrence. Notre interlocuteur cite la Haute autorité de la communication et l’audiovisuel (HACA), le Conseil économique, social et environnemental (CESE), l’Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC). Rappelons tout de même que le CESE dispose d’un mécanisme lui permettant de fonctionner en attendant le renouvellement des membres qui le composent.

En dépit de la situation incongrue que traverse le Conseil de la concurrence, notre interlocuteur reste optimiste. «Pour notre institution, le dénouement est inexorable car le Maroc a fait le choix de l’ouverture et de l’économie de marché qui, sans l’application du droit de la concurrence, est dévoyée», conclut-il. ■

 

Momar Diao

 

 

L’Actu en continu

Hors-séries & Spéciaux