TPME : un nouveau dispositif sous le regard attentif des acteurs économiques

TPME : un nouveau dispositif sous le regard attentif des acteurs économiques

Le lancement du nouveau dispositif de soutien aux TPME intervient dans un contexte où l’investissement régional et l’accès au financement restent des enjeux centraux. Entre attentes élevées, mécanismes ciblés et adaptation des acteurs, son déploiement sera déterminant pour mesurer sa portée réelle sur le terrain.

 

Par R. Mouhsine

Le lancement à Errachidia du dispositif de soutien direct aux très petites, petites et moyennes entreprises (TPME) entre dans le cadre de la mise en œuvre du nouveau Pacte de l’investissement.

Le gouvernement veut en faire un levier d’ancrage territorial de l’investissement et de création d’emplois, dans la continuité des orientations royales. La mesure est présentée comme un outil de transformation de la dynamique entrepreneuriale nationale, mais suscite également des interrogations au sein d’une partie des représentants des petites structures.

Devant les acteurs économiques réunis lors de cette rencontre, le mardi 11 novembre, le chef du gouvernement Aziz Akhannouch a défendu une réforme «destinée aux entreprises très petites et petites, avec des investissements allant de 1 à 200 millions de dirhams».

Il a souligné la volonté de territorialisation de la politique d’investissement : les décisions et financements doivent désormais être instruits au niveau régional, via les Centres régionaux d’investissement. L’objectif affiché est de rapprocher l’action publique des réalités locales et de faciliter l’accès au soutien pour les porteurs de projets. Un complément aux outils existants Le dispositif repose sur un système de subventions modulables et cumulables pouvant atteindre jusqu’à 30% du montant total de l’investissement.

Trois types de primes sont prévus : une prime liée à l’emploi formel, une prime territoriale en fonction de la zone d’implantation, et une prime sectorielle pour les projets jugés prioritaires. L’Exécutif présente ce mécanisme comme un complément aux outils déjà existants, destiné à renforcer l’investissement productif dans l’ensemble des régions. Karim Zidane, ministre délégué chargé de l’Investissement, insiste sur l’articulation de ce dispositif avec le Pacte de l’investissement.

Selon lui, ce soutien direct vise à «renforcer les capacités locales et valoriser les ressources humaines et naturelles des régions», tout en encourageant l’émergence de projets dans des zones moins attractives. Il met également en avant la lisibilité des critères d’éligibilité, conçus pour s’inscrire dans un cadre plus homogène que les dispositifs antérieurs. Du côté patronal, la CGEM a salué cette initiative. Son président, Chakib Alj, rappelle que 95% des membres de la Confédération sont des TPME et estime que la simplification des démarches, notamment via les représentations régionales, devrait faciliter le dépôt et la bancabilité des projets.

Un dispositif qui suscite des réserves

Le contexte sectoriel explique en partie les attentes suscitées par cette mesure. Selon le dernier rapport de l’Observatoire marocain de la TPME, près de 80% des entreprises actives ont un chiffre d’affaires annuel inférieur à un million de dirhams et la moitié d’entre elle est concentrée dans trois régions. L’accès au financement demeure limité : en 2018, 4,1% seulement des prêts bancaires étaient destinés aux microstructures.

Ce diagnostic souligne les difficultés récurrentes auxquelles sont confrontées les petites entreprises, qu’il s’agisse de formalisation, de garanties ou d’ingénierie financière. C’est dans ce cadre que les réserves de certains représentants des petites structures s’expriment. Mohamed El Fergui, président de la Confédération marocaine des TPE-PME, estime que «la plupart des TPME vont rester en dehors du dispositif», en raison notamment du seuil d’investissement d’un million de dirhams. Il considère que les conditions d’éligibilité risquent de favoriser les entreprises les mieux structurées : «ce sont les TPME intégrées à de grands groupes qui seront les premières bénéficiaires», avance-t-il.

Il juge par ailleurs que la concertation préalable a été insuffisante et souligne que «les TPE se financent à hauteur de 99% par leurs propres moyens». El Fergui met également en cause la difficulté d’accès au crédit bancaire. Selon lui, les garanties exigées par les établissements financiers constituent un frein majeur. «Les banques demandent des titres de logement ou de terrain. Même une entreprise cliente depuis dix ans peut se voir refuser un crédit», affirme-t-il. Il pointe enfin une perception «décalée» entre les déclarations optimistes des pouvoirs publics et la réalité du terrain pour les très petites structures.

Toutefois, ces critiques interviennent alors que le dispositif n’a pas encore entamé sa phase opérationnelle et que les premiers dossiers doivent être examinés au niveau des régions. Le rôle déterminant des CRI Pour les pouvoirs publics, l’enjeu réside dans la capacité à déployer ce dispositif de manière homogène sur l’ensemble du territoire. Le rôle des CRI sera déterminant : instruction des projets, accompagnement des porteurs, évaluation de l’impact sur l’emploi. L’un des défis identifiés par plusieurs experts concerne l’ingénierie nécessaire pour structurer des dossiers répondant aux nouveaux critères d’éligibilité.

La question se pose notamment pour les petites entreprises informelles ou semi-formelles, peu familières avec les procédures administratives. À ce stade, les contours du dispositif sont clairement définis, mais son appropriation reste à observer. Les subventions ne seront accordées qu’après signature d’une convention d’investissement validée par les commissions régionales. L’accès à ces aides suppose également un apport en fonds propres d’au moins 10% du projet, un critère qui pourrait constituer un filtre supplémentaire pour les entreprises les plus fragiles.

Le gouvernement mise sur un effet d’entraînement entre subventions publiques, financement bancaire et création d’emplois formels. Les représentants des petites entreprises, eux, soulignent les obstacles historiques liés au financement, à la concurrence des grandes structures ou à la capacité administrative.

Les positions restent donc contrastées, mais convergent sur un point : la réussite du dispositif dépendra de son application sur le terrain, de la clarté des procédures et de la capacité des régions à accompagner les très petites et petites entreprises dans la formulation de projets viables. Le lancement d’Errachidia ouvre une phase d’observation cruciale. Au-delà des annonces, c’est la mise en œuvre qui permettra de mesurer si ce nouvel outil peut répondre aux enjeux d’investissement, d’emploi et de rééquilibrage territorial qui lui sont assignés.

 

Les points clés du nouveau dispositif de soutien aux TPME
Le nouveau dispositif de soutien direct aux très petites, petites et moyennes entreprises (TPME) introduit une architecture profondément remaniée de l’aide publique à l’investissement. Il s’appuie sur trois piliers : territorialisation, ciblage et performance. Les projets éligibles doivent représenter un investissement compris entre 1 et 50 millions de dirhams et inclure un apport en fonds propres d’au moins 10%. Pour les jeunes entreprises créées depuis moins de trois ans, le critère de chiffre d’affaires est supprimé afin de favoriser l’amorçage. Le mécanisme s’articule autour d’un système de primes modulables pouvant atteindre un plafond cumulé de 30% du montant total de l’investissement. La première prime est liée à l’emploi : elle peut représenter jusqu’à 10% du projet, sous condition de création de postes formels et durables. La deuxième est territoriale : de 10% en zone A et jusqu’à 15% en zone B, afin de renforcer l’attractivité des régions les moins dotées en infrastructures économiques. La troisième prime est sectorielle : elle peut ajouter 10% supplémentaires pour les activités jugées prioritaires au regard des orientations économiques nationales. Le volet opérationnel repose sur une territorialisation poussée. Les Centres régionaux d’investissement (CRI) deviennent la porte d’entrée unique : instruction des dossiers, accompagnement, validation et suivi. Les commissions régionales d’investissement auront la responsabilité de statuer sur les conventions, dont la signature conditionne le versement effectif des subventions. Cette gouvernance décentralisée vise à rapprocher les décisions du terrain, mais suppose une capacité d’exécution équilibrée entre régions. Le dispositif comporte également plusieurs restrictions pour éviter les effets d’aubaine. Aucune entreprise ne peut en bénéficier si plus de 25% de son capital sont détenus par une structure réalisant plus de 200 millions de dirhams de chiffre d’affaires. Par ailleurs, chaque emploi créé doit correspondre à un poste marocain en CDI maintenu pendant au moins 18 mois. En filigrane, ce mécanisme introduit une logique de responsabilisation : les subventions ne sont versées qu’après réalisation effective des engagements. Il offre aux TPME un cadre plus lisible que les dispositifs antérieurs, mais laisse ouverte la question de la capacité des plus petites structures à satisfaire les exigences administratives et financières nécessaires pour en bénéficier pleinement.

 

 

 

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