Lauréate du prix de la startup la plus prometteuse d’Afrique lors du DeepTech Summit 2025 à Benguerir, Mary Mureithi, fondatrice de Nyungu Africa, a décidé, au moyen de sa startup, d e résoudre un problème empirique de santé publique chez les femmes : l’hygiène menstruelle. Entretien.
Finances News Hebdo : Nyungu Africa vient d’être primée au DeepTech Summit 2025, ici au Maroc. Comment cette aventure a-t-elle commencé, et pourquoi avoir choisi de vous engager sur le sujet des règles menstruelles ?
Mary Mureithi : L’idée de Nyungu Africa est née d’un constat alarmant : en Afrique, la majorité des protections hygiéniques disponibles sont composées de plastique, de produits chimiques, voire de métaux toxiques. Ce sont des matériaux qui ne devraient jamais entrer en contact avec le système reproductif féminin. Mais surtout, ces produits sont hors de portée pour beaucoup. J’ai vu des jeunes filles vendre leur corps juste pour acheter une serviette hygiénique. Cela conduit à des grossesses précoces, à l’abandon scolaire… Tout cela parce que les règles, un processus biologique naturel, sont perçues comme secondaires. Nyungu, qui signifie «poêle» en swahili, représente à la fois la chaleur, la transformation, mais aussi une blessure invisible : celle de l’inégalité face à l’hygiène menstruelle. Mon objectif est simple : que chaque femme en Afrique ait accès à des protections dignes, naturelles et abordables.
F.N.H. : Qu’est-ce qui différencie concrètement vos produits et quel regard portez-vous sur le Maroc qui vous a justement honorée cette année ?
M. M. : Nos protections sont 100% naturelles, biodégradables, et fabriquées à partir de fibres de maïs et d’ananas, deux ressources abondantes en Afrique. À Thika, ma ville natale au Kenya, nous avons des plantations d’ananas à perte de vue. Il s’agit de valoriser ce que nous avons, localement, sans dépendre de produits industriels importés et toxiques. Nous avons validé la qualité de nos produits dans des laboratoires en Allemagne et au Royaume-Uni. Aujourd’hui, je veux que les femmes africaines puissent porter des protections de la même qualité que celles disponibles en Europe, mais pensées par et pour elles. Le Maroc a eu un rôle fondamental dans notre reconnaissance. Être désignée ici comme entreprise la plus prometteuse d’Afrique dans un sommet technologique de haut niveau, ce n’est pas anodin. Cela montre que le Maroc croit dans les solutions scientifiques locales, orientées vers les besoins humains. C’est un signal fort pour tout le continent. Le Maroc m’a redonné espoir : ici, j’ai découvert à l’UM6P une infrastructure technologique de haut niveau, rare sur le continent, qui aurait pu accélérer notre développement si elle avait existé plus tôt à notre portée.
F.N.H. : Vous incarnez aussi un modèle pour les femmes entrepreneures en Afrique. Quels sont les principaux obstacles à surmonter, et quelles sont vos prochaines étapes ?
M. M. : Ce n’est pas que les femmes n’essaient pas. Elles essaient, et très fort. Mais entre les charges familiales, les discriminations et les difficultés de financement, beaucoup finissent par renoncer. Le système est encore conçu pour privilégier les hommes. Moi, j’ai eu un privilège rare : celui de pouvoir insister, même dans la tempête. Et je considère qu’il est de ma responsabilité d’ouvrir la voie pour d’autres. Les femmes africaines sont parmi les plus travailleuses au monde. Elles devraient être parmi les plus riches. Notre prochaine grande étape, c’est un test à grande échelle: au Kenya d’abord, puis au Royaume-Uni avec notre partenaire scientifique. Nous voulons recueillir les retours de milliers de femmes pour affiner le produit et le rendre accessible au plus grand nombre. Nous voulons recueillir les avis de ces femmes sur le confort, la tenue, l’efficacité du produit. Nous désirons aussi collaborer avec des institutions comme l’UM6P ici au Maroc, dont le niveau technologique est impressionnant. Si j’avais eu un tel écosystème dès le départ, nous serions déjà sur le marché. Et cela affirme ma conviction selon laquelle l’innovation sociale et technologique peut venir d’Afrique, pour l’Afrique. Et grâce au soutien reçu ici au Maroc, je repars plus déterminée que jamais.